Justine vit Sophie partir avec Iwan. Un petit sourire se dessina alors sur son visage. Sa concurrente était hors jeu. Elle était persuadée que cette gamine, cette petite oie blanche ne la gênerait plus. Ce genre de fille était si facile à impressionner… Comment Stan pouvait-il s’intéresser à elle ? Elle sortit de son sac le lipstick argenté et en remit une touche sur ses lèvres. Elle observa le jeune homme avec une certaine satisfaction quand il se rendit compte que Sophie et son frère n’étaient plus là. Elle le vit envoyer des SMS avec frénésie, s’agacer sur son portable, sans vraiment prêter attention à ceux qui l’entouraient. Il ne remarqua pas qu’elle se glissait à ses côtés et remplissait son verre d’alcool et de jus de fruits.

Il faisait une chaleur étouffante, et Stan avala son verre, puis un second sans y porter réellement attention. Plus les SMS demeuraient sans réponse, plus son cœur se serrait. Sophie était partie sans un mot, sans lui donner la moindre explication. Il savait que son frère était aussi attiré par l’adolescente, et un sentiment de jalousie, de suspicion naquit en lui. Il commençait à se figurer tant de choses, Sophie, remuée par ce qui venait de se passer, Iwan la prenant dans ses bras… Et comme aucun des deux ne répondait, son imagination galopa. 

Justine voyait le visage de Stan se décomposer. Quand, agacé et déjà bien imbibé, il s’absenta pour aller aux toilettes, il abandonna son smartphone sur la table. La jeune femme mit cette absence à profit pour copier le numéro de Sophie. Le musicien regagna sa place sans jeter un œil à son ex-petite amie. Il s’enfila un autre verre et, fin saoul, Justine profita de la situation. Incapable de réfléchir de manière cohérente, il la laissa faire des selfies qu’elle s’empressa d’envoyer à Sophie. Elle prenait Stan par les épaules, l’embrassait et choisissait des gestes pouvant porter à confusion. Elle voulait Stan pour elle seule. L’idée de le posséder physiquement germa dans son esprit malade. Elle fouilla dans son sac et y trouva une fiole ainsi qu’un peu de poudre qu’elle versa dans le verre de Stan pendant qu’il était retourné aux toilettes, par-dessus, elle ajouta du jus de pamplemousse et le fond de vodka. Il revint en titubant légèrement et but le verre qu’elle lui tendait.

Jordan s’approcha d’eux.

— Justine, qu’est-ce que tu fais ?

— Laisse… c’est… c’est… maz cop… ine.

— T’es complètement pété.

— Fous… moila paix.

Le videur vint voir ce qui se passait. Le comportement quasiment indécent des deux jeunes gens l’avait interpellé. Il leur demanda donc de sortir ou de se calmer. 

— C’est bon, on sort !

Peu de temps avant la fermeture, Justine entraîna le jeune homme vers la sortie, le soutenant dans sa marche de plus en plus chahutée et l’emmena vers le Cher, à l’endroit même où, presque deux ans plus tôt, elle lui avait offert son corps. La jeune femme reprit quelques selfies malgré la pénombre. Depuis le temps qu’elle pratiquait la photo et la vidéo, elle maîtrisait bien cet art, même avec un simple smartphone. Elle l’aida à s’allonger sur l’herbe rase. Justine ne voulait pas se satisfaire de quelques baisers volés, elle le voulait entier, soumis. Peu importait la manière dont elle y parvenait. 

Stan était dans l’incapacité de réagir, il protestait mollement tant il était ivre. Justine entreprit de le déshabiller. Elle ouvrit la chemise exposant le torse musclé et fit au passage une petite vidéo, tandis que, d’une main, elle tentait de défaire sa ceinture, puis son pantalon. Une fois baissé, la jeune femme essaya de masturber sa victime, elle s’empala sur lui, mais Stan, trop saoul, ne restait pas longtemps en érection… Puis il peina à respirer. Justine, trop obnubilée par son désir, ne s’en rendit pas compte. Elle pestait au-dessus de lui, s’acharnait sur son sexe mou. Elle l’attrapa par le col de sa chemise et le secoua en vain, lui hurla dessus. Stan ne réagissait plus.

****

Lorsqu’Iwan arriva devant la discothèque, les gens commençaient à partir. Il envoya un texto à son frère qui demeura sans réponse. Puis à Pauline qui lui répondit aussitôt. Il la trouva à l’intérieur avec leurs copains et copines respectifs, mais pas de trace de Stan.

— Tu sais où est mon frère ? demanda-t-il à l’adolescente aux cheveux fuchsia.

— Grande question ! Tu sais, moi, Stan moins je le vois, mieux je me porte. Mais je peux te dire qu’il était fin saoul. Plusieurs bouteilles ont circulé et Justine s’est bien chargée de le resservir jusqu’à plus soif.

Sur la table qu’ils avaient occupée, des verres, plusieurs bouteilles d’alcool, de la vodka et de la bière, ainsi que des jus de pamplemousse trônaient, vides.

— Encore cette peste !

Iwan était surpris que son frère ait pu suivre Justine et soit resté avec elle toute la soirée, mais quand il lut les SMS laissés par Stanislas, il se rendit compte qu’il aurait dû y répondre. Stan l’avait bombardé de messages inquiets, puis furieux face à son silence. Il avait cru que son aîné l’avait trahi, profitant de ramener Sophie pour la lui voler dans son dos. Leur mutisme n’avait fait que le conforter dans ses doutes, l’alcool avait fait le reste, bien que son cadet ne soit pas coutumier de tels excès.

— Hé, mec, où t’étais passé ? intervint Jordan.

— J’ai dû ramener la sœur de Mathias. Devant le regard interrogatif de son copain, il ajouta : la sœur de Anh Dũng.

— Ah, OK !

— T’as vu Stan ?

— Ouais… Il est parti il n’y a pas très longtemps avec Justine. Il était complètement démob !

— Ne me dis pas que…

— Oh si, j’ai bien cru qu’elle allait le baiser sur les fauteuils. Un des videurs est même venu leur demander de se calmer.

— Merde ! Avec un peu de chance, ils ne seront pas bien loin. Justine est à pied, ce soir. Je crois qu’elle est venue avec une autre copine.

— Je viens avec toi !

Jordan prit ses affaires, aussitôt rejoint par Thomas et Amélie. Les jeunes gens se mirent en quête de leur ami. Il ne leur fallut que quelques minutes pour repérer le couple affairé dans l’herbe sur les rives du Cher. Justine chevauchait un Stan à demi nu, le pantalon sur les chevilles, sa chemise grenat largement ouverte sur son torse. Elle pestait contre le manque de réaction de sa victime et l’invectivait. Jordan et Amélie enclenchèrent leurs smartphones et enregistrèrent la scène. Furieux, Iwan s’approcha d’un pas décidé et constata, sans aucun doute possible, que son frère n’était pas en état de consentir à quoi que ce soit. Certes, il avait bu, mais il connaissait suffisamment bien son cadet pour savoir que le jeune homme, à moins d’être dans l’impossibilité de réagir, ne serait pas retourné avec Justine. Il attrapa la jeune fille par le bras sans manière et l’arracha au jeune homme étendu sur le sol.

— Mais ça ne va pas, non ? T’es malade !

Iwan n’avait aucune intention de se montrer doux avec cette fille dont il connaissait les travers, son obsession pour Stan.

— Qu’est-ce qu’il a pris ?

— Mais rien ! se défendit-elle.

Pendant ce temps, Thomas rhabillait le garçon étendu dans l’herbe humide. Jordan le filmait, et Amélie braquait son smartphone sur Iwan et Justine en train de s’expliquer.

— Arrête de te foutre de ma gueule ! Que lui as-tu donné ? Que lui as-tu fait boire ? Justine !

Il se montra menaçant et la saisit brutalement par les cheveux en lui hurlant dessus. Face à la réaction de l’aîné des Jarosz, Justine prit peur et avoua qu’elle avait ajouté un truc dans le verre de son ex-petit ami. Les éclats de voix alertèrent des gens sur le parking et ils virent arriver deux policiers en uniforme. Stan, toujours allongé, à peine conscient sur le sol, peinait à respirer. Thomas le mit en position latérale de sécurité et attendit près de son ami. Les agents braquèrent leurs torches sur les adolescents. Amélie appelait les secours.

— Qu’est-ce qui se passe ici ?

Les gestes brusques d’Iwan à l’encontre de Justine n’avaient pas échappé aux deux hommes. Mais le corps inerte sur le sol les alerta davantage et, quand la jeune fille fit mine de s’éloigner, l’un des deux membres des forces de l’ordre lui intima de rester là.

Iwan n’avait en tête que la sécurité de son frère. Le second homme s’approcha de Stan et se rendit compte de l’état de celui-ci.

— Monsieur ? Vous m’entendez ?

Le policier constata les pupilles dilatées et les difficultés respiratoires, aussi il appela les pompiers et demanda à Thomas ce qu’il avait pris.

— J’en sais trop rien. Ils ont bu toute la soirée, surtout Stan, et je crois que Justine l’a drogué et a tenté d’abuser de lui. On les a trouvés dans l’herbe. Iwan les a interrompus, ajouta-t-il en désignant l’aîné des Jarosz. C’est son frère. Quant à elle, elle le harcèle sans cesse.

L’autre policier appela le central, demandant un autre véhicule pour embarquer tout ce petit monde. Tous étaient majeurs, à l’exception de Stan que les pompiers emportèrent à l’hôpital. Quand les secouristes arrivèrent sur place, le jeune homme venait de perdre conscience, en détresse respiratoire, ils durent le ranimer avant de l’emmener toutes sirènes hurlantes.

Après avoir vérifié leurs identités à l’hôtel de police, visionné les deux vidéos où il était clair que Stan n’était pas en état de réagir pendant que la jeune fille aux cheveux argentés en abusait, elle avoua lui avoir vidé un antidépresseur liquide sans son accord dans un verre de vodka-pamplemousse. Iwan leur rappela que Stan avait déjà porté plainte contre elle un peu plus d’un an auparavant. Leurs parents envisageaient de demander une injonction d’éloignement. Aussi, elle resta en garde à vue, le temps de déterminer ce qu’elle avait fait ingérer au jeune chanteur. Son père, un avocat ayant pignon sur rue, arriva dès qu’il apprit que sa fille était en détention.

Iwan contacta ses parents que les policiers avaient prévenus à sa sortie et les rejoignit à l’hôpital. Son cadet dormait profondément après avoir eu droit à un lavage d’estomac et une piqûre. Une perfusion dans le bras, il avait été placé sous monitoring afin de vérifier sa respiration. Justine avait failli le tuer. L’ingestion de pamplemousse avec l’antidépresseur liquide versé dans le verre d’alcool avait eu un effet détonant sur le jeune homme. Le médecin qui s’était occupé de lui avait expliqué à la famille Jarosz que le jus de fruits pouvait provoquer des overdoses allié à certaines molécules. Stan avait eu de la chance que son frère l’ait trouvé. Leurs parents étaient furieux tant après Justine qu’après Iwan, qui avait laissé son cadet seul.

— Mais enfin où étais-tu passé ?

— J’ai ramené une copine chez elle. Justine l’avait menacée et elle avait peur. Je ne pouvais pas laisser cette gamine dans la nature.

— Mmm.

— J’avais peur que cette tarée de Justine s’en prenne à elle.

— Ta copine… elle ne pourrait pas témoigner ?

— Son frère a fugué, je vais essayer de l’en convaincre… Mais elle ne veut plus entendre parler de Stan, et c’est tout juste si elle accepte de me parler après ce qui s’est passé.

Épuisé, Iwan s’endormit dans le fauteuil près du lit et fut réveillé par un juron furieux de son frère.

— Alors, la belle au bois dormant se réveille ?

— Tu peux parler… Tu ronflais comme un bienheureux dans ce fauteuil. Tu ne pouvais pas dormir dans ton lit ?

— Bonjour, Iwan. Merci, Iwan. Ça te dérangerait d’être un peu sympa ?

— Ah oui ? Et tu étais où ? Qu’est-ce que tu as fait avec Sophie ? Cette folle m’a collé pire qu’une sangsue et qu’est-ce que je fous ici ? C’est quoi, ces photos que quelqu’un a envoyées à Sophie ?

— Tu ne te rappelles rien ?

— Je me rappelle que mon frère s’est barré avec ma nana et qu’aucun des deux n’a daigné répondre à mes messages ! J’espère que tu en as bien profité !

Iwan réprima difficilement un sourire.

— Mais t’es jaloux ! Si tu avais envoyé balader Justine un peu plus fermement, tu ne serais pas là, et je ne serais pas rentré avec Sophie ! T’es franchement crétin, par moment !

— Mais j’ai rien fait !

Iwan lui expliqua tout ce qui s’était passé : les menaces de Justine, les confidences de Sophie, sans cependant entrer dans les détails, Justine qui l’avait drogué et comment leurs copains et lui-même avaient dû intervenir, les flics, Justine en garde à vue.

— Quelle pétasse ! Je crois que je sais qui a pris ces photos et les a envoyées à Sophie, mais les dernières semblent avoir été bloquées.

Stan tenta d’envoyer un SMS à la jeune fille, mais son message ne put atteindre sa destinataire. Ses soupçons se confirmèrent, il ne pouvait plus lui parler. Son frère l’informa que leur mère était allée chez les Nguyễn Văn Lô, dans l’espoir de convaincre Sophie de témoigner des menaces que Justine avait proférées.

— Si tu t’étais donné la peine d’apprendre à la connaître, à t’intéresser un peu à elle au lieu de lui sauter dessus, tu te serais peut-être rendu compte que la sœur de Anh Dũng est une gamine qui a besoin d’attention. Ce n’est pas facile pour elle avec tous les soucis que rencontre sa famille. Là, t’es certain qu’elle ne voudra plus de toi, mais rassure-toi, elle ne voudra pas plus de moi. Elle a été claire… Elle nous remercie pour notre gentillesse de vendredi, mais elle préfère éviter les copains de son frangin, et je comprends pourquoi : ce n’est pas toi et tes soucis avec Justine que tu n’assumes pas qui risquez d’arranger les choses. J’ai refusé de faire ce qu’elle m’a demandé, mais vu les circonstances…

— Bon alors, t’accouche !

— Sophie m’a demandé de te dire qu’elle ne veut plus que tu l’approches !

— Non !

— Comment ça, non ?

— Je… je crois bien que je suis amoureux.

Iwan éclata de rire.

— Tu crois ou tu es sûr ?

Stan demeura muet, mais le regard qu’il jeta à son aîné équivalait à une réponse.

— Mon pauvre, tu vas découvrir ce que tu fais subir à tes conquêtes.

****

Madame Nguyễn Văn Lô accueillit la mère des garçons, un peu surprise par cette visite. Sophie dormait encore et elle ignorait tout ce qui s’était passé pendant la soirée.

— Je vous en prie, entrez donc. Vous désirez boire quelque chose ?

Lorsqu’elle s’était présentée, Lan Anh avait tout de suite fait la relation avec le jeune Stanislas, il avait les mêmes cheveux noirs, le même sourire et un petit je ne sais quoi de sa mère, une femme d’origine italienne qui en avait conservé l’accent chantant.

Même si elle n’avait rien désiré, la maîtresse de maison prépara du thé.

— Je suis désolée de vous déranger sans avoir prévenu. J’ai appris par Iwan que vous aviez en ce moment quelques soucis avec votre fils. J’espère que tout cela s’arrangera au plus vite.

— Je l’espère.

— Je souhaiterais parler à votre fille, en fait. Elle n’est pas là ?

— Si. Elle doit encore dormir. Ces derniers jours ont été très éprouvants pour nous deux. Il s’est passé quelque chose ?

— En effet, c’est pourquoi je suis ici. Je souhaiterais qu’elle accepte, si vous l’autorisez, qu’elle vienne au poste de police témoigner.

— Témoigner ?

Lan Anh fronça les sourcils, inquiète, et se demanda ce qui s’était ENCORE passé. Sa famille avait vécu tant de tourments.

— C’est délicat… mais il semblerait que votre fille et mon fils Stanislas aient été assez proches, ces derniers jours… Lorsqu’ils sont allés dans cette boîte de nuit, hier soir, ils ont rencontré une ancienne petite amie de mon fils. Cette jeune fille rencontre quelques soucis psychiatriques. Nous en sommes venus à déposer une main courante pour harcèlement et d’après ce que m’en a dit Iwan, elle aurait menacé votre fille, Sophie, c’est bien ça ?

— Menacer Sophie ? Mais pourquoi donc ?

— La jalousie, cette jeune fille est un peu détraquée.

— Ce sont des histoires d’adolescents. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’embêter ma fille avec ça, elle a déjà assez subi ces dernières années.

— Madame Nguyễn, je crois que vous n’avez pas saisi la situation… Justine est actuellement en garde à vue. J’en ai assez et je ne veux plus qu’elle approche mon fils… Elle a été trop loin, une fois de trop. Ses parents ne font rien, parce qu’ils pensent, eux aussi, que ce sont des histoires d’adolescents. Nous avons déjà déposé une main courante contre elle, et nous voudrions que la justice lui interdise d’approcher mon fils, mais il semblerait que ce soit le dernier de ses soucis.

Lan Anh encaissa le reproche sous-entendu. Elle se servit un thé sans répondre et attendit que madame Jarosz s’explique. La mère des deux jeunes garçons lui apprit ce qui s’était produit au cours de la nuit.

— Mais c’est horrible. Ma fille a aussi été témoin de cela ?

— Non, mais Justine l’aurait menacée. Je veux que l’on reconnaisse que cette fille est un danger public.

Sophie entendit des voix au salon, alors qu’elle ouvrait les yeux. Elle se leva, se passa un coup d’eau sur le visage et regarda de la mezzanine de qui il s’agissait. Elle soupira, agacée. Elle avait faim et ne pouvait pas descendre en nuisette. Elle retourna donc dans sa chambre et enfila le premier jean qui lui tomba sous la main et un t-shirt bordeaux. Elle se rendit au rez de chaussée pieds nus et à peine coiffée.

— Ah, voici ma fille ! Tu peux nous rejoindre, Sophie, sil te plaît.

La jeune fille salua madame Jarosz et s’assit de mauvaise grâce. Son estomac gargouilla.

— Allez donc manger un morceau, je peux patienter cinq minutes.

Les deux mères de famille discutèrent de choses et d’autres en attendant Sophie qui s’était versé un bol de céréales accompagné de lait de soja et mangeait sur un coin du comptoir de la cuisine. Elle se demandait ce que la mère des garçons pouvait bien lui vouloir. Elle n’avait pas consulté ses messages ; elle avait même éteint son téléphone avant de dormir et oublié de le rallumer. Dès qu’elle termina son petit déjeuner, elle rejoignit les deux femmes et pria madame Jarosz de l’excuser. Celle-ci lui exposa les raisons de sa venue. Elle fit la grimace quand elle lui apprit que Stan était à l’hôpital.

— Je suis désolée, mais je ne vois pas ce que je pourrais dire aux policiers…. Ces dernières années, je les ai assez vus comme ça et j’ai dit à vos fils de m’oublier… J’ai déjà été le souffre-douleur de la petite amie de mon frère ; ce n’est pas pour remettre les pieds dans des histoires à ne plus en finir. Je suis désolée pour Stan, c’est moche ce qu’elle a fait, mais

— Moche ? Mais enfin, elle a abusé de mon fils, elle l’a violé, osons-dire la vérité ! Elle vous a menacée et vous ne voulez rien dire ? s’emporta madame Jarosz.

— Stan m’a envoyé des photos dans la soirée. Vous devriez regarder son téléphone. Il m’a semblé qu’il s’amusait plutôt bien et qu’il buvait beaucoup aussi. Que voulez-vous que je dise ? Je n’étais même pas là ! Et quant aux menaces, nous étions seules, c’est sa parole contre la mienne.

— Iwan m’a dit que vous étiez terrifiée. Je ne vous demande pas grand-chose, juste de dire aux policiers ce que vous avez vu et entendu.

Sophie soupira d’agacement.

— Bon, je vais y aller, mais dites à vos fils de ne plus m’approcher… Comme d’habitude, les copains de mon frère sont des sources d’emmerdes.

— Sophie ! Tu pourrais te montrer un peu plus gentille et plus polie. Tes amis ont été charmants de nous aider à chercher ton frère !

— Ce ne sont pas mes amis, grogna l’adolescente entre ses dents !

Elle était furieuse qu’Iwan ait raconté cela et l’ait mêlée à leurs problèmes.

— Merci, c’est trop gentil, je vous emmène ?

Le téléphone sonna, tandis que madame Jarosz s’apprêtait à partir avec Sophie. C’était le commissariat qui appelait à propos de Mathias afin d’informer la famille Nguyễn Văn Lô que celui-ci avait été, semblait-il, aperçu à Paris par d’anciens copains, mais à l’heure actuelle, il leur fallait confirmer. Cependant, personne ne savait où il dormait.

— Je vous remercie, Monsieur le Commissaire !

— Il y a un problème, Maman ?

— Ton frère serait à Paris. Des copains l’auraient aperçu, mais la police n’a pas su m’en dire plus.

— Ça ne m’étonne pas ! Il a dû se passer un truc avec Kim.

Lan Anh s’effondra dans le fauteuil le plus proche.

— Ça ne s’arrêtera donc jamais.

— Tu veux que je reste avec toi ? Quand est-ce que papa doit rentrer ?

— Normalement, à la fin de la semaine prochaine ou au milieu de l’autre.

Madame Jarosz, qui observait la scène et se rendait bien compte que la situation n’était pas simple, tenta de rassurer la mère de Sophie en lui affirmant que la police allait le retrouver. Elle songeait à son fils sur le lit d’hôpital et se disait que ça aurait pu être le sien qui ait disparu après ce qui lui était arrivé.

— Je ramène votre fille au plus vite, se voulut-elle réconfortante.

Sophie la suivit à contrecœur jusqu’au commissariat où un agent la reçut et nota tout ce qu’elle avait à dire à propos de la soirée de la veille. Les menaces de Justine lui affirmant que Stan était à elle et qu’elle ne laisserait pas une petite conne le lui prendre. Qu’il se lasserait bien vite de son charme asiatique et que si elle ne laissait pas Stan, elle s’occuperait de son cas. Elle raconta comment Stan était intervenu et était resté dans les toilettes pour dames un certain temps avec ladite Justine et comment il en était sorti avec des traces de rouge à lèvres et des paillettes argentées et qu’elle-même était partie avec Iwan pendant que son frère nettoyait les marques qu’il n’avait pas vues dans les WC réservés aux hommes. Comme Sophie s’y était attendue, le policier ne vit dans son témoignage qu’un accès de jalousie et une altercation entre adolescentes, mais pas de quoi inculper Justine.

— Je suis désolé, Madame Jarosz, mais rien ne nous permet de certifier que votre fils n’ait pas ingurgité ces substances de son plein gré. Pendant cette soirée, un certain nombre de photos ont été retrouvées dans le téléphone de cette demoiselle ainsi que sur celui de votre fils qu’un agent est allé chercher à l’hôpital il y a peu. On y voit surtout deux jeunes en train de s’amuser. Votre fils a été hospitalisé pour le faire décuver et s’assurer que le mélange alcool et drogue ne risquait pas de provoquer plus de problèmes, mais je pense que vous pourrez le récupérer dès ce soir ou demain.

Avant que Sophie et la mère des deux garçons sortent, il remercia la jeune fille de s’être quand même déplacée.

Madame Jarosz était furieuse, d’autant plus que Sophie lui fit la remarque qu’elle l’avait prévenue.

— Que vouliez-vous que je dise ? Elle m’a impressionnée sur le coup, mais j’ai vécu bien pire et, franchement quoi, elle ne m’a pas mis une arme sous le nez, elle ne m’a pas menacé de me tuer…

— Ma petite, tu ne sais pas de quoi est capable cette folle ! Je croyais que mon fils et toi étiez proches.

— Une erreur de ma part qui ne se reproduira pas. Je n’avais pas le moral à cause de mon frère, des derniers mois, de notre départ de Paris. Je ne connais presque personne ici. Stan s’est montré gentil et on m’avait prévenue de me méfier.

— Voilà autre chose, maintenant. Qu’est-ce que tu vas me dire ? Que mon fils est un dangereux obsédé, pendant que tu y es ?

— Je n’ai pas dit ça… mais Stan a la réputation d’être un coureur qui jette les filles dès qu’il les a baisées.

— Mais il n’a pas dix-huit ans, on ne va pas lui demander de choisir une fille et de la garder pour la vie, on n’est plus au XIXe. Tu t’imaginerais, toi, avec un garçon à ton âge pour toute la vie ?

— Euh… je ne crois pas.

— Les filles font la même chose, non ? Il faut être deux. Je connais bien mes fils, et je les imagine mal en train de faire des promesses qu’ils ne tiendront pas.

— Je ne sais pas, je ne suis pas de ces filles. Il me faudrait des sentiments pour… enfin, vous savez bien.

Madame Jarosz esquissa un sourire… Sophie lui rappelait sa jeunesse… Elle avait connu le père de ses enfants, un petit fils d’immigrés polonais dans ce même lycée, quelque vingt-huit ans plus tôt. Ce géant à la chevelure d’un blond cendré arborant des t-shirts de metal l’avait subjuguée, elle, la fille d’immigrés italiens arrivés quelques années plus tôt, quand elle était encore une enfant. Rosa Jarosz l’avait épousé un peu plus tard, peu de temps avant son départ au service militaire, alors qu’elle attendait Eva, leur fille aînée. Elle avait accouché pendant l’été qui avait suivi le bac. Sa famille, assez traditionnelle, ne lui avait guère laissé le choix.

— J’espère que tu prends un moyen de contraception… Ne fais pas la même erreur que moi, j’ai connu le père de mes enfants quand j’étais bien trop jeune, et en plus, je suis tombée enceinte. Même si, aujourd’hui, je ne regrette rien. Excuse-moi pour tout à l’heure. Je sais bien à quel point mes fils attirent les filles, alors prends soin de toi, je sais que les garçons ont parfois tendance à oublier les préservatifs…

Rosa Jarosz ramena Sophie chez elle et, au moment de repartir, elle invita sa mère à venir boire le café le lendemain.

— C’est gentil, mais je dois rester à la maison au cas où mon fils reviendrait.

— Je comprends, mais pensez un peu à vous… Quand Sophie finira sa journée, passez donc à la maison… Si vous avez besoin de quelque chose, de faire des courses, je peux m’en charger et vous les amener, si vous voulez.

— Merci, c’est gentil, je ne voudrais pas vous déranger.

— C’est moi qui vous le propose. Préparez-moi une liste de courses, je viendrais la prendre vers quatorze heures.

— Entendu, merci beaucoup.

— À demain !

Au cours de la soirée, Sophie reçut un SMS de son amie Élodie, lui demandant de l’appeler en urgence. Elle se mit sur son ordinateur et appela la jeune fille via Skype.

— Salut ! Qu’est-ce qui se passe ?

— Salut ! Comment tu vas ?

— Je fais aller.

— Tu vas me raconter tout ça, mais tout d’abord, j’ai vu ton frère avec Kim. Je n’ai pas pu lui parler, car ils montaient dans un taxi, mais je les ai pris en photo.

Ladite photographie s’afficha dans le logiciel, et Sophie put la télécharger. En effet, on y voyait de manière distincte Mathias et Kim. Le jeune homme s’était teint les cheveux en un rouge profond et ne portait pas les vêtements avec lesquels il avait disparu.

— Merci, t’es un ange. J’imprime, je la descends à ma mère et je reviens, elle en fera ce qu’elle veut.

Pendant que la photo s’imprimait sur la petite imprimante à jet d’encre, les deux filles continuèrent de discuter, et Sophie raconta à Élodie tout son week-end depuis le vendredi jusqu’au début d’après-midi où la mère des frères Jarosz était venue chez elle.

— Mais c’est une folle ! Tu as bien fait de couper court avec le beau Stan. Pas la peine de t’attirer des ennuis, des beaux mecs ce n’est pas ce qui manque. Il a bien un frère ?

— Pas mon genre. Tu sais, moi, les blonds, ils ne m’attirent pas trop. Et puis, c’est son frère, ils sont sympas, mais tu vois, là, je préfère les éviter comme tous les potes de mon frère, c’est bien mieux ainsi.

— Il n’y aurait pas un bel Asiatique dans ton coin ?

— Si, probablement.

La photo une fois tirée, Sophie descendit la donner à sa mère.

— Élo a vu Mathias.

Elle lui tendit l’impression, et sa mère la prit, un peu fébrile.

— Tu sais où c’était ?

— Oui, je l’ai noté à l’arrière.

— J’appelle le commissariat tout de suite. Remercie ton amie pour moi.

Sophie en profita pour remonter dans sa chambre et rejoindre Élodie qui l’attendait toujours sur Skype. Les jeunes filles avaient tant de choses à se dire. Sophie apprit tout ce qu’il y avait à savoir à propos des gens qu’elle côtoyait encore quelques mois plus tôt. Dao qui avait demandé de ses nouvelles. Kim toujours aussi superficielle et de plus en plus peste. Même son frère ne la supportait plus.

— Et dire que mon frère a pris la tangente pour cette pouf.

— Que veux-tu ? Le cœur a ses raisons que la raison ignore.

— Je te trouve bien philosophe.

— J’ai fini par me faire une raison. Ton frère ne verra jamais en moi que la petite Élodie. Pour lui, je suis toujours la gamine aux couettes blondes qu’il aimait taquiner… J’en ai eu assez d’attendre. Je n’allais pas me morfondre pendant encore des années.

— Tu te rappelles quand on avait quoi, huit ou dix ans ? Vous disiez que vous alliez vous marier tous les deux.

— Oh que oui, je me souviens ! Mathias est le premier garçon que j’ai embrassé, on se faisait même de petits câlins, on se tenait par la main… On était mignons, sauf que lui a évolué et que moi, au cours des années, j’en suis vraiment tombée amoureuse… Quand il est sorti avec Kim, ça m’a brisé le cœur. J’ai même voulu mourir…

— Oui, je m’en rappelle : tu avais bu toute la fiole de somnifères homéopathiques de ta mère et tu avais dormi plus de quinze heures. Puis tu t’étais réveillée en te demandant ce que tu fichais là. J’en ai passé des heures à te consoler.

Élodie esquissa un sourire un peu triste. Mathias occuperait toujours une place particulière dans son cœur. C’était son premier amour, et même si elle avait eu des petits copains, elle avait continué d’espérer. Cet été, sachant que ses amis quittaient Paris, elle avait choisi le garçon avec qui elle allait sauter le pas. Un garçon gentil et doux avec qui elle était incapable de rester.

— C’était une erreur, tu sais. J’ai sauté le pas, mais j’avais l’impression de tromper ton frère… Je crois qu’il ne me sortira jamais de la tête.

— Tu viens à la maison aux vacances de novembre ? Kim ne sera plus là. Tu pourras toujours tenter ta chance…

— Oh que oui, je viens, et plutôt deux fois qu’une !

— Je dois te laisser. J’ai encore du boulot pour demain.

— Moi aussi ! Bisous, ma chérie ! fit Élodie, en lui envoyant un smack au travers de la webcam.

— Bisous !

Le policier qui reçut madame Nguyễn Văn Lô lui assura que les renseignements donnés par Élodie allaient beaucoup les aider. Aussi elle rentra chez elle rassurée, persuadée que ce n’était plus qu’une question de jours, peut-être d’heures.

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