<<< Chapitre 1


Chapitre 2

Quelques jours plus tard, au petit matin par une journée hivernale glaciale, un visiteur vint frapper à la porte des deux colocataires.

— Je vais ouvrir !

Évangelyne ne put s’empêcher d’avoir un mouvement de recul devant la créature qui lui tendait un pli cacheté. Un être longiligne, voir même un peu osseux à la peau bleuâtre parsemée de taches orangées se tenait sur le pas de la porte, ses pupilles fendues et des iris couleur citron ne laissaient aucun doute sur sa nature de « monstre ». Il tenta de lui adresser un sourire qui révéla une rangée de dents petites et pointues.

— Un pliii urrrrrrrgennnt pour mademoooizzeeelleee Dupuiiiis, annonça-t-il en français en zozotant légèrement et en faisant traîner les syllabes de chaque mot.

Une fois sa mission effectuée, l’étrange personnage s’en retourna. Évangelyne le suivit des yeux quelques instants et referma la porte quand Léna lui cria :

— Bon sang ! Ferme-moi cette porte ! Ça pèle dehors !

Interdite, la jeune humaine blonde regardait la lettre qu’elle tenait entre ses mains. Il n’y avait que son nom inscrit d’une belle écriture déliée, mais aucune autre indication. L’enveloppe au papier épais était cachetée par un seau de cire. Qui pouvait bien lui envoyer pareil document ?

— Qu’est-ce que tu attends, ouvre-là ?

— Et si c’était un de ces machins magiques ? Si tu avais vu la tête du truc qui me l’a emmené, dit-elle en la tournant entre ses doigts.

Léna revint avec un couteau et lui prit l’étrange courrier des mains avant de faire sauter le cachet de la pointe de la lame.

— Hé, rends-là moi !

Une fois en main de nouveau, elle ouvrit le pli et en sortit une lettre manuscrite sur un papier de bonne qualité où il était inscrit : une adresse, une heure de rendez-vous et la raison. Elle découvrit ainsi que son entretien au BTI avait au moins débouché sur un second, tout n’était donc pas perdu. Elle pourrait peut-être enfin décrocher un travail de plus longue durée. Mais au souvenir de ce premier contact, elle frissonna et se demanda finalement si celui-ci était bien humain vu la tête de son coursier. Dans quel guet-apens risquait-elle de se fourrer ?

— Tu as envie que je vienne avec toi ? Je suis en congé encore pour quels jours, je peux très bien libérer mon après-midi et demain s’il y a lieu on pourra peut-être même te préparer pour ton nouvel emploi. Tu sais, s’il avait voulu te bouffer tout cru, crois-tu qu’il serait passé par le BTI ? Il aurait publié une petite annonce sur le Net et ni vu ni connu tu aurais fini dans sa gamelle ou je ne sais quoi d’autre.

— Non ça va aller. Si je ne revenais pas, tu sais au moins où je serais allée.

Le lendemain, Évangelyne sortit de leur petit appartement emmitouflé dans un manteau et une épaisse écharpe enroulée autour de son cou, le visage à moitié dissimulé par la capuche qui lui retombait sur le front. Ses bottes laissèrent de profondes empreintes dans la neige et c’est ainsi qu’elle se dirigea vers le tramway, mais celui-ci en raison des intempéries n’assurait pas les navettes. Agacée, elle appela un taxi. Elle piétinait quand elle vit une silhouette émergée de l’averse de flocons, une allure dégingandée, une démarche étrange pour un humain. La peur afflua et la jeune femme pria pour que son taxi arrive. La créature se dirigea vers elle. Évangelyne recula, au bord de la panique, elle fit volte-face et partit en courant, ses pas entravés par l’épaisseur de neige. Soudain, elle dérapa et s’affala de tout son long dans la poudreuse. Elle releva sa capuche et vit une paire de bottes ainsi qu’une main aux longs doigts griffus tendue vers elle.

—  Mademoooizzeeelleee Dupuiiiis.

L’humaine leva les yeux et reconnut le « monstre » venu lui apporter la lettre, la veille au matin. Confuse et effrayée, elle n’osa pas accepter l’aide qu’il semblait vouloir lui donner. Elle se remit sur ses pieds et croisa le regard jaune citron de la chose.

—  Mademoooizzeeelleee Dupuiiiis. Je suuuiiss veenuuuu vouus zerchreeeeeeeer.

— Me chercher ? fit-elle étonnée.

Il, ou elle peut-être, hocha la tête en signe d’assentiment et lui fit signe de le suivre. Quelques minutes plus tard, le duo arriva devant un gros SUV à compresseur. Une jeune femme sortit du véhicule en livrée de chauffeur et leur ouvrit la porte arrière. Évangelyne hésita, de nouveau surprise.

— Montez mademoiselle, je vous en pris.

La voiture était confortable et douillette après le froid de l’extérieur. Elle se serra contre la portière et si le « monstre » s’était aperçu qu’elle se tenait le plus loin possible de lui, il n’en laissa rien paraître.

— Maîtrrrrreeee Aooodhaaannnnn m’envoooie et il continua de parler dans une langue dont elle ne comprit pas un traître mot.

Cela lui faisait penser à un langage asiatique avec leurs accentuations, mais avec également des sonorités traînantes.

— Aodhàn ? C’est comme ça qu’il s’appelle ?

Il hocha de la tête pour toute réponse. Évangelyne appuya son front contre la vitre et laissa son regard vagabonder jusqu’à ce que des marques rouges sur la neige immaculée attirent son attention. Du sang, vraisemblablement, et celui-ci était encore frais vu sa couleur vive. Les vitres s’opacifièrent et le véhicule continua sa route vers la zone 16. Autrefois, cette partie de Paris était réservée aux gens très fortunés avec ses beaux hôtels particuliers, aujourd’hui il était de même sauf qu’il ne restait plus grand-chose de la splendeur passée. Peu de bâtisses demeuraient encore debout. À la place, de nouvelles constructions avaient vu le jour et le secteur ouest regorgeait de belles maisons toutes neuves. Cependant le SUV s’arrêta devant un des rares bâtiments authentiques. Une imposante grille de fer forgé s’ouvrit et les laissa entrer avant d’aller se garer dans la cour d’un hôtel particulier du XIXe peut être même du XVIIIe pensa Évangelyne. Elle jetait des regards curieux autour d’elle. La majestueuse, et certainement hors de prix, construction était entourée d’un jardin soigné, d’arbustes persistants savamment taillés et de statues d’inspirations classiques. Elle talonna le monstre jusqu’à l’intérieur, subjuguée par le luxe de la décoration d’époque.

Il lui fit signe de le suivre et l’emmena jusqu’au bureau de son maître. Il ouvrit la lourde porte s’effaça pour la faire entrer avant de la laisser seule avec son rendez-vous.

— Ah vous voilà enfin !

— Mais je…

— Bougez-vous bon sang ! Qu’attendez-vous pour vous asseoir, je n’ai pas que ça à faire !

Rouge comme une tomate Évangelyne bafouilla quelques excuses et s’installa dans la chaise Voltaire que lui désignait le maître des lieux.

— Bon, venons-en aux faits. Je cherche une assistante. J’ai besoin de quelqu’un sans attaches, pas de maris pas d’enfants. Vous parlez le xénoïde plutôt bien à ce que j’en ai jugé et vous avez eu une initiation à quelques langages autres plus l’anglais et l’espagnol. J’ai vu que lors de votre cursus vous avez eu des cours de civilisation, dont de l’archéologie xénoïde, ça, c’est un bon point. Par contre, il va falloir que vous soyez un peu plus dynamique. Je n’ai pas besoin de quelqu’un qui soit dans mes pattes inutilement. Savez-vous vous servir d’une arme ?

— Je me suis entraîné au tir au revolver et à la carabine.

— C’est tout ?

— Euh oui, répondit-elle en le regardant d’un air étonné.

— Pas de sport de combat ? Pas de maniement d’armes blanches ou d’arbalète ? Je suppose que vous ne connaissez rien à la magie.

— En effet, mais je…

— Il faudrait remédier à ça, la coupa-t-il de son ton sec. Mon assistante devra me suivre dans tous mes déplacements. Autant vous dire que vous ne seriez pas souvent à Paris, de toute manière vous auriez un appartement à Xénopolys. Vous seriez nourri, logé et blanchi. Pas question d’aller batifoler de droite et de gauche.

— La cité des m… immortels ?

Aller vivre parmi les « monstres » ne l’enchantait guère.

— Le poste est à durée déterminée longue durée et renouvelable. Ah oui, au fait je suis Le Régulateur !

— Le quoi ?

— Ne me dites pas que vous n’avez jamais entendu parler de ce qu’est un régulateur ?

Évangelyne fit « non » de la tête.

Aodhàn soupira, agacé.

— Bon pour faire simple, je suis là pour résoudre les problèmes au sein des Xénoïdes. Les humains ont mis le bordel, il faut bien que quelqu’un s’occupe de réparer vos bêtises. Mon assistante m’aidera dans ma tâche. Autant vous dire que ce n’est pas de tout repos.

— Je vais devoir aller à Démonopolys ? gaffa-t-elle.

Son interlocuteur fronça les sourcils et sembla gronder, pendant que sa main se crispait sur le stylo qu’il tenait.

— Je vous déconseille de la nommer ainsi devant un Xénoïde ou de tout autre sobriquet très sympathique que lui donne les humains, comme je vous invite à les respecter et ne pas les appeler les monstres… ils risquent fort de ne pas du tout apprécier. Si vous les haïssez, ce travail n’est pas fait pour vous. Ils sont certes différents et parfois même très différents, mais n’oubliez pas que, quel que soit leur aspect, ces êtres que les humains méprisent éprouvent toutes sortes de sentiments et qu’il vaut mieux éviter de vous fier à leur apparence. Ceux qui peuvent vous sembler être les plus hideux ne sont pas forcément les plus monstrueux. Ne pensez pas avec votre vue étriquée de petite humaine !

— Excusez-moi, murmura Éva confuse.

— Goell va vous raccompagner ! Sur ces derniers mots, il se leva, tendit la main et serra celle d’Évangelyne d’une poigne dure. Au revoir, Dupuis, je vous recontacte et réfléchissez bien avant de donner une réponse et de signer, je ne suis pas certain que ce poste soit fait pour vous.

Elle retira sa main endolorie et bafouilla un « au revoir monsieur ».

Quand elle arriva devant le SUV, elle surprit un geste tendre de la part de Goell « le monstre » envers la conductrice. Elle réprima un rictus de dégoût et se demanda comment une humaine pouvait-elle accepter qu’une pareille chose puisse la toucher. Elle repensa à cet entretien pendant le trajet de retour, probablement que sa gaffe allait lui valoir la place, tant pis se dit-elle ça sera pour un autre travail, mais en attendant elle allait devoir compter sur son amie Léna, car son chômage allait se terminer d’ici peu de temps. Tous gardèrent le silence et une fois devant la bâtisse où elle vivait, le « monstre » lui tendit une main amicale et lui adressa un semblant de sourire.

— Auuuuu reeevvoooirrr, peeut-êtrrre à bieeentooot.

— Au revoir, grommela-t-elle avant de monter quatre à quatre l’escalier de bois donnant à son appartement.

Léna l’attendait en lisant, elle lui prépara un thé au jasmin et patienta jusqu’à ce qu’Évangelyne se décide à s’asseoir pour lui poser la question qui lui brûlait les lèvres :

— Alors ?

— Pfff, soupira-t-elle.

— Comment ça pfff, tu n’as pas mieux à dire ? Le truc de l’autre jour s’est repointé en demandant où était Mademoooizzeeelleee Dupuiiiis, et que Maîtrrrrreeee Aooodhaaannnnn l’avait envoyé te chercher, je lui ai donc dit et je l’ai vu repartir dans ce gros SUV. Cette fois-ci ne me raconte pas que ce monsieur Aodhàn a été aussi peu agréable que l’autre fois. Un mec qui envoie son chauffeur chercher une jolie fille comme toi, c’est que tu as dû lui taper dans l’œil.

— Tu te goures, je me suis fait engueuler à peine arrivée, ce mec est purement infect… Pouah j’espère qu’il n’a pas de femme, car je la plains sincèrement. Mais je doute avoir le poste. Figure-toi que cet Aod machin veut un larbin pour le suivre partout et tu me vois moi aller à Monstropolys ?

Léna se cala profondément dans son fauteuil, croisa les bras sur sa poitrine et attendit la suite.

— Ce gars voudrait que je le suive partout comme un petit chien chez les monstres, il m’a demandé si je savais me battre. Non, mais t’y crois toi. Je n’ai pas une tête de guerrière.

La dhampyr éclata de rire et lui répondit :

— Ça, c’est sur, toi qui as l’habitude de te pomponner, de mettre des petites robes moulantes et te percher sur des talons aiguilles, je t’y vois bien.

— De toute façon, je n’ai pas le job, se renfrogna-t-elle. Je vais me retrouver sans un rond. Je n’ai pas les moyens de faire la fine bouche. Ce boulot c’était ma dernière chance. Et je peux te dire qu’il n’a pas du tout aimé quand j’ai dit que c’était Démonopolys, je me suis pris un sacré soufflon et cette andouille m’a broyé la main. Tu crois qu’il m’aurait offert un thé ou un truc à boire, mais non, la seule chose qu’il sait faire, c’est être désagréable avec les gens. Par contre, tu verrais sa maison, il n’habite pas un deux pièces cuisine. Il est dans la zone 16 dans un des derniers hôtels particuliers encore debout et c’est sacrément chic chez lui. Tout à fait le genre que tu aimes, genre XVII ou XVIII avec une pointe de néogothique du XIXe.

— Beurk, tu veux me faire fuir. Ton Aodhàn, je suis certaine que c’est un monstre lui aussi. T’as pas vu un truc bizarre ?

— Non, rien à part que c’est un vrai glaçon.

Les jours passèrent, la neige fondit puis tomba à nouveau. Comme presque tous les hivers, Paris se recouvrait d’un épais manteau blanc depuis que la guerre avait complètement chamboulé le climat. Les spécialistes avaient annoncé au début du XXIe siècle qu’un réchauffement climatique se produirait, mais au final le contraire s’était réalisé. Les hivers étaient devenus plus rigoureux, plus longs et les étés plus caniculaires, mais brefs.

La sonnerie du portable d’Évangelyne retentit et un numéro inconnu apparut, quand elle décrocha la voix d’Aodhan raisonna, à vrai dire elle l’avait presque oublié, pour elle, elle ne faisait pas l’affaire et n’entendrait plus jamais parler de lui et fut donc fort surprise de l’entendre.

— Goell va passer à votre domicile vous remettre un exemplaire de contrat, lisez-le bien et si vous avez la moindre question, n’hésitez pas à me joindre, j’y répondrai, cependant je tiens à vous faire savoir que tout ceci est confidentiel… j’espère que vous l’avez bien compris. Je vous donne trois jours de réflexion, sans nouvelle de votre part je considérerai que vous n’êtes pas intéressée, ça serait dommage vous avez des qualités certaines pour celui-ci. Au revoir mademoiselle Dupuis.

— Je… Évangelyne n’avait pas eu le temps de répondre qu’il avait déjà raccroché, pour une fois il avait été à peu près aimable.

Léna travaillait et son amie tournait en rond dans leur petit F3, le mauvais temps ne se prêtait pas à une balade. Elle en avait plus qu’assez de ne pas avoir d’emploi, la tentation de suivre cet Aodhàn était grande, une nouvelle vie, un nouvel appartement et elle pourrait enfin mettre en pratique ce qu’elle avait appris lors de ses études. Après tout c’était un CDD, lui avait-il annoncé, elle ne serait partie tout au plus pendant deux années. La dhampyr venait de rentrer du travail quand Goell frappa à la porte. Comme la fois précédente il lui remit un épais pli cacheté à la cire et s’en retourna sans un mot.

— Éva ! Vite, ouvre-la ! la pressa Léna.

Évangelyne fit sauter le sceau, ouvrit l’enveloppe et en sortit le contrat. Celui-ci était ordinaire, il notifiait ce que lui avait déjà dit Aodhàn concernant son futur emploi, le fait qu’elle soit nourrie, blanchie et logée, mais un détail la laissa perplexe. La durée du contrat était de… cent ans.

— Je n’aurais jamais cru que ce monsieur puisse faire une pareille bourde. Un CDD de cent ans t’imagine… Il y aura belle lurette que je serai morte. Je vais l’appeler.

— Monsieur Aodhàn ?

— Mademoiselle Dupuis, que puis-je pour vous ?

— Il y a une erreur sur le contrat. Vous avez mis un CDD de cent ans.

— Oui en effet, ce n’est pas une erreur.

— Mais je…

— Je vous expliquerai. Rappelez-vous, vous avez trois jours pour vous décider.

— Éva ? Tu vas regarder le téléphone longtemps ?

— Hein ?

— Alors qu’est-ce qu’il t’a dit ?

— Rien…

— Comment ça rien ?

— Il a dit qu’il n’y avait pas d’erreur.

Léna fronça les sourcils, se leva et saisit le contrat, plus elle le lisait plus son visage devenait sans expression puis son amie l’entendit jurer. La dhampyr e retourna vers la jeune humaine.

— Tu ne m’avais pas dit que c’est un régulateur.

— Non… je ne sais même pas ce que c’est.

— Ton Aodhàn, ce n’est pas un humain, c’est une de ces saloperies de monstres.

— Pourtant il a l’air tout à fait humain, bel homme d’ailleurs.

— Oh ça, je n’en doute pas.

— Et c’est quoi au juste un régulateur ?

— Les régulateurs appartiennent à une espèce très secrète, au contraire des autres monstres, ils n’ont pris parti ni pour leurs semblables ni pour les humains. Tous les craignent, que ce soit les démons ou les vampires si puissants. On ne sait pas trop d’où ils viennent, et nous savons très peu de choses sur eux. Ce sont des mages puissants, un peuple d’une autre dimension et qui voyage entre elles depuis des millénaires… ils gèrent les conflits et tout ce qui a trait aux monstres… ton Aodhàn c’est LE Régulateur… je suis une andouille, j’aurais dû le comprendre plus tôt… et on ne dit pas non à un régulateur.

Léna prit son amie dans ses bras.

— Je suis désolée Éva.


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2 commentaires

Nanet · 18/08/2017 à 13:16

Oh, sympa ! Merci pour cet instant de lecture agréable.
Gros bisous.

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