Le lundi matin, Sophie fut convoquée, à peine arrivée, une fois de plus dans le bureau du CPE, Monsieur Antonionni, suite à la visite de policiers à propos de la fugue de son frère. Elle y trouva ce monsieur ainsi que la sous-directrice, madame Lefebvre, une grande femme un peu sèche.

— Mademoiselle Nguyễn Văn Lô, vous revoici donc dans mon bureau, ça commence à devenir une habitude… en à peine une semaine de cours. La police nous a averti de la disparition de votre frère, pourquoi n’avons nous pas été informés dès vendredi ? Celui-ci étant encore mineure, plus ses antécédents, le souci de violence de la semaine dernière nous allons faire un rapport aux services sociaux. On peut dire que vous commencez bien votre année et votre arrivée dans cette ville.

— Je ne suis pas responsable de Mathias, se défendit Sophie.

— Vous non en effet, mais vos parents oui. Vous étiez seule à votre domicile ?

— Non ma mère était là, il n’y a que mon père qui soit en déplacement professionnel.

— Votre mère ne devrait plus tarder et en effet à peine quelques minutes plus tard madame Nguyễn Văn Lô passait la porte.

Sophie écoutait en silence, les questions nombreuses posées à sa mère et pour finir le CPE s’agaça, il reprochait à sa mère son manque de sérieux, son inconséquence de ne pas avoir averti les autorités dès le jeudi soir quand elle s’était rendu compte que son fils ne rentrait pas.

— Vous avez mis votre fils en danger. Je suis désolé pour vos enfants, mais nous allons devoir faire un rapport aux services sociaux.

— Mais enfin, Mathias sera majeur dans à peine quelques semaines, vous savez bien comment sont les adolescents de son âge !

— Justement ! Mais vous oubliez que votre fille n’a que seize ans…

— Sophie ? Mais Sophie ne ferait rien de semblable, c’est une jeune fille sérieuse, bonne élève, sans histoires.

— C’est pour son bien, nous allons faire notre travail, madame Nguyễn.

— Mais enfin c’est sous votre responsabilité qu’il a disparu, il a quitté le lycée et n’est pas rentré, personne ne m’a appelé et vous me rendez responsable de sa disparition, vous avez un sacré culot. Mes enfants ne sont pas mal traités, ils ont tout ce dont ils ont besoin, ce dont ils ont envie, nous avons toujours fait notre maximum pour qu’ils soient heureux et vous venez m’accuser d’être une mauvaise mère ? De mettre mes enfants en danger. Oui mon fils a eu des soucis de toxicomanie, et fait d’autres bêtises, il n’a jamais mis sa sœur en danger, il n’y a jamais eu de problèmes entre eux. Vous faites une montagne d’une seule et unique altercation entre eux ! Mais voyez-vous j’essaie de lui faire confiance, je sais qu’il ne va pas bien et croyez-vous que c’est en étant sans cesse sur son dos que les choses s’amélioreront ?

— Un peu plus d’autorité ne lui ferait peut-être pas de mal !

— Ce n’est pas ce que le psy nous a conseillé et je ne pense pas que vous allez apprendre son métier à ce médecin !

Lan Anh était furieuse. Un coup frappé à la porte coupa court à la discussion quelque peu houleuse. La tête de la psy du lycée s’encadra dans l’embrasure. Une jeune femme de la trentaine bien sonnée invita Sophie à la suivre. Ravie de pouvoir quitter le bureau où l’ambiance était pensante, l’adolescente ne demanda pas son reste. Elle se retrouva donc une nouvelle fois dans un bureau.

Madame Gauvin, une Réunionnaise, tenta de la mettre à son aise. Plutôt que d’entrer dans le vif du sujet, elle lui posa des questions sur elle-même. Ce qu’elle aimait, où était-elle allée en vacances cet été, ses ami(e)s, ce qu’elle avait envie de faire, pour en venir doucement à son frère. Sophie lui apprit que Mathias était un excellent musicien qui rêvait de devenir professionnel, de rejoindre un groupe aux mêmes aspirations… elle lui parla de Kim aussi.

— Un chagrin d’amour ? Tu penses qu’il est parti pour elle ?

— J’en suis même certaine. Élodie ma meilleure amie les a vus ce week-end en revenant d’un mariage.

— Tu l’as dit à ta mère ?

— Bien sûr, mon amie avait même fait une photo qu’elle m’a envoyée, et ma mère l’a donné à la police.

— C’est bien ça et tu en penses quoi toi de la petite amie de ton frère ?

— Elle va le rendre malheureux… je suis sûre que c’est pour ça qu’il est parti, je suis presque certaine que c’était avec elle que mercredi soir il discutait au téléphone.

Après un long entretien avec la jeune fille, madame Gauvin en conclut que Mathias avait fugué dans l’idée de retrouver la jeune fille dont il était très amoureux. Certes un acte inconsidéré, mais qui ne mettait pas en cause sa famille.

Lorsque Sophie sortit enfin du bureau de madame Gauvin, elle avait manqué une demi-matinée de cours, la sonnerie signifiant l’interclasse venait de retentir. Elle descendit dans la cour. Elle avait besoin d’air. L’adolescente serait bien rentrée chez elle, mais ce n’était guère le moment et surtout une mauvaise idée. Elle vit de loin la tignasse fuchsia de Pauline qu’elle rejoignit d’un pas pressé.

— Hé ! Ça ne va pas ?

— Non…

— Aller, viens !.

Pauline l’emmena à l’écart, sur les pelouses. Sophie s’effondra après la tension des derniers, jours, l’épreuve dans le bureau du CPE, la discussion avec la psy, après les évènements du week-end c’était la goutte qui débordait. L’adolescente aux cheveux roses prit son amie dans ses bras et tenta de la calmer. Elle la laissa vider son sac, heureusement elles avaient une heure de libre chaque lundi de 10 à 11 heures ce qui laissait du temps à Sophie pour se reprendre. Iwan les aperçut de loin, mais lorsqu’il s’approcha un mouvement de la tête de Pauline lui fit comprendre de partir. Stan devait sortir de l’hôpital dans la journée et c’était mieux ainsi. Au moins, il ne viendrait pas leur casser les pieds songea Pauline. Lorsqu’elles retournèrent en classe, Sophie s’était calmée.

Lors des deux dernières heures, elles firent connaissance du prof d’arts plastiques, un homme de la petite quarantaine, au look rock avec ses piercings et un tatouage entraperçu lorsqu’il se penchait, une fine barbe, avait tout de l’artiste dynamique, un brin marginal. Le programme de l’année qu’il désirait leur faire découvrir lui plaisait. Une initiation à l’art contemporain au travers de quelques expositions, divers médiums comme la photo, le dessin, les collages… sans oublier le « Street art ». Les regards en coin d’un élève, visiblement aux origines asiatiques, n’avaient pas échappé à Pauline.

Lorsqu’elle repartit chez elle, l’épisode de la matinée était presque oublié. Son premier cours d’art plastique avait achevé de lui changer les idées.

Quand elle ouvrit la porte de la maison, la voix de madame Jarosz lui parvint aux oreilles. Sophie avait peu envie de voir la mère des deux frères qu’elle tenait à éviter. Les deux femmes, assises dans le jardin près de la piscine, buvaient un thé glacé et papotaient à propos de choses diverses. À l’instant où elles virent la jeune fille, Rosa Jarosz lui adressa un sourire chaleureux.

— Oh !

— Nous t’attendions, je vais m’absenter une ou deux heures, Rosa m’a invité chez elle pour ce soir, ça te dérange pas j’espère de dîner seule ? Il y a tout ce qu’il faut au réfrigérateur, je t’ai préparé des boulettes de poulet épicées avec un peu de riz, tu as de quoi te faire une salade et il y a de la glace à la framboise au congélateur.

— Ne t’inquiète pas maman, je suis capable de me débrouiller toute seule. En plus j’ai plein de travail.

Au contraire même, Sophie était ravie de dîner seule. Après s’être excusée, elle monta dans sa chambre afin d’enfiler un maillot de bain pour profiter encore un peu de la piscine. Quand elle redescendit, les deux femmes étaient parties. Après quelques brasses et une petite demi-heure à se prélasser sur un transat, l’adolescente retourna dans sa chambre pour se doucher, endossa un kimono de soie bleu pastel que son père avait ramené d’un de ses voyages professionnels au japon au printemps précédent. Après un repas vite expédié, elle se plongea dans ses devoirs, sa mère la trouva encore attablée devant son bureau en plein travail lorsqu’elle rentra de chez les Jarosz. Lan Anh embrassa sa fille et alla se coucher fatiguée de sa journée. À cran depuis plusieurs jours, elle tombait de fatigue.

Malgré la fugue de son frère, la vie continuait pour Sophie avec son quotidien semblable au précédent.

****

De retour chez elle, Justine s’installa à son bureau face à son ordinateur portable, elle relia son smartphone àcelui-ci et récupéra les photos, les courtes vidéos et se mit au travail. Les clichés s’affichèrent dans son explorateur : des selfies pris avec Stan lors de la soirée du samedi, des prises du jeune homme seul, quelques vidéos courtes où on le voyait triste puis peu à peu plus détendu au fur et à mesure que les verres descendaient. Elle sélectionna celles qui lui plaisaient le plus et les retravailla dans Photoshop pour en améliorer la colorimétrie, redresser un peu le cadrage… La jeune femme était très douée. De légères retouches que seul un œil expert pouvait découvrir. Elle retoucha aussi les vidéos, coupa où cela était nécessaire, fit des montages, cala la musique. Elle avait fait un excellent travail. Quand tout cela fut prêt après des heures passées sur l’ordinateur, elle ouvrit sa page Facebook, puis choisit deux des photos les plus avantageuses et les publia sur la page des Children of Styx, l’une représentait Stan seul, puis la seconde avec Justine qu’elle l’avait intitulée «Stan et sa fiancée » puis l’avait fait suivre de quelques lignes. Elle posta les autres sur sa propre page et sur son profil, donnant moult détails de leur soirée. La petite vidéo brillamment retouchée trônait en tête de page et ne tarda pas à devenir virale. 
Justine savait très bien tirer à son avantage ces clichés et vidéos détournés. Elle y déclarait sa flamme, ses désirs. Elle attendit quelques heures puis elle se plaignit que son fiancé regardait ailleurs malgré les photos peu équivoques où on la voyait en la compagnie du chanteur.

« Je suis tellement déçue, mon fiancé m’est infidèle, il ne cesse de regarder ailleurs surtout cette fille qui n’arrête pas de lui tourner autour bien qu’il ne soit pas célibataire »

Les réactions des facebookiens ne tardèrent pas. Chacun y allait de son avis, la plupart ne connaissant pas ou peu Stan et Justine.

« Oh ma pauvre, pourtant tu es très jolie, quel salaud, et cette fille, ce serait moi je lui passerais l’envie de tourner autour de mon mec »

« Les mecs sont tous les mêmes, casse lui la figure à cette pétasse ! »

Forcément, le chanteur était un enfoiré et elle la pauvre victime de cette « enflure » quant à celles qui répondraient à ses avances, elles seraient les pires des salopes bien évidemment… et Justine toujours celle que l’on plaignait.

****

Le mercredi lorsque Sophie arriva en bas du lycée George Sand, les frères Jarosz étaient devant le portail en train de discuter de choses et d’autres avec leurs copains.

— Merde !

— Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda Pauline.

— Regarde qui est là !

— Stan et Iwan ? Il va falloir t’y faire, c’est une habitude. Tous les fumeurs et leurs potes sen grillent une dernière avant d’entrer, Thomas est là et Jordan aussi, donc ça n’a rien de surprenant. Ils attendent Amélie.

— Je ne veux pas le voir.

— Attends ! Je passe en premier, ils ne pourront pas me louper avec mes cheveux fuchsia et toi tu passes là derrière, il pensera que tu es avec moi et en ne te voyant pas il croira que tu n’es pas là.

— Bonne idée.

Sophie laissa Pauline la distancer pendant qu’elle faisait le tour par l’allée que les voitures empruntaient, profitant qu’un groupe s’engouffre par les grilles. Stan chercha Sophie du regard lorsqu’il aperçut Pauline, mais un juron de Thomas lui fit tourner la tête.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Regarde ton Facebook ! Tu comprendras. Lorsque Stan prit son smartphone et se connecta sur le réseau social, il devint livide. Justine avait posté de nombreuses photos de la soirée, des clichés de tous les deux où on pouvait croire qu’ils s’embrassaient, se caressaient, et quelques-uns de lui à demi nu sur l’herbe rase des bords du Cher.

— La salope !

Stan furieux envoya un SMS à sa mère, elle n’était certes pas avocate, mais en raison de son travail de consultante, elle était souvent en contact avec ceux-ci. Amélie regarda par-dessus l’épaule de son ami et vit les photos.

— Reconnaît qu’elle a un talent certain pour la photo, t’es franchement canon sur celles-ci.

— Elle a un sacré culot ! Elle te drogue, te viole et elle a en plus l’audace de te pourrir la vie… il y a fort à parier que ça fait le tour du net… entre Twitter, Spnapchat, YouTube et je ne sais quoi d’autre, fit remarquer Iwan. Je te jure que celle-là si je la trouve je vais lui passer l’envie de te faire encore du mal.

— Et merde ! J’espère que Sophie ne les a pas vus… 

Les commentaires allaient bon train à la suite des clichés postés, expliquant pourquoi elle avait pris ces photos. Certes Stan n’avait pas été très sympa avec elle en rompant après avoir obtenu ce qu’il désirait, mais il n’avait jamais fait la moindre remarque à son propos. Il ne lui avait jamais rien promis non plus. Pour lui il s’était toujours agi de sexe entre personnes consentantes et il n’avait pas compris l’acharnement dont elle faisait preuve suite à leur rupture alors qu’il était en seconde. Il avait alors seize ans et elle dix huit. Stan avait amèrement regretté d’être sorti avec cette fille. Lui, faisait plus vieux que son âge, plus mature aussi, elle le genre de fille, belle, sûre d’elle, après qui une volée de mouches tournait. Le jeune garçon s’était senti valorisé qu’une telle fille, en terminale de surcroît, s’intéresse à lui. Ils étaient restés quelques semaines ensemble et il avait eu envie de passer à autre chose. Il n’éprouvait pas de réels sentiments pour Justine avec qui au final, il s’ennuyait et que certains aspects de sa personnalité dérangeaient. Sa possessivité, la tentative d’organiser sa vie avec pour point central elle-même or Stan n’était amoureux que d’une chose la musique et elle seule. Les filles… c’était autre chose, l’adolescent adorait le sexe et ne sen cachait pas. À seize ans, il était évident qu’il n’avait aucune envie de s’attacher à qui que ce soit. Justine l’avait très mal pris. Le chantage affectif, les pleurs l’avaient retenu quelque temps puis il avait rompu définitivement. À la suite de ça, elle fit de sa vie un enfer… elle le suivit, menaça ses copines, appela chez lui à toute heure. Au point que ses parents prirent les choses en main. Monsieur Jarosz se rendit au domicile des parents de Justine et se montra ferme, si elle ne cessait pas, il porterait plainte et cest ce qui finit par se produire. Plus d’un an plus tard Stan avait fini par imaginer que tout cela était derrière luimais il était évident que Justine, elle n’était pas passée à autre chose.

Le jeune homme se rappelait peu de choses de la soirée à partir du moment où ni Sophie ni son frère n’avaient répondu à ses SMS. Il savait comment cela s’était terminé, et le concevoir le rendait fou. Le seul sentiment dont il se sentait capable c’était la haine et la colère.

Stan n’avait donc pas remarqué le passage de Sophie qui ignorait tout de ce qui se produisait. Elle n’avait pas été sur Facebook depuis le dimanche soir, trop occupé par son travail scolaire et ses propres soucis. Elle avait espéré que Mathias serait de retour rapidement après les informations données par Élodie. Une fois encore, elle avait tenté de le joindre sur son portable. L’adolescente peinait à cacher sa tristesse. Il ne se passait pas un instant où elle se demandait pourquoi les policiers ne retrouvaient pas son frère, où pouvait-il être, que faisait-il, avec qui traînait-il ? Il était clair que l’adolescente avait la tête ailleurs, loin de ses études.

À la pause, Sophie essaya pour une énième fois d’appeler Mathias. Silencieusement, elle suppliait qu’il réponde. La sonnerie retentit plusieurs fois et contre toute attente quelqu’un décrocha.

— Anh Dũng ! Réponds sil te plaît. Anh Dũng !

Un vague son à peine audible, pour ainsi dire incompréhensible lui répondit. Elle ne crut saisir que Sao Mai. Derrière en fond, elle entendit des bruits et pensa reconnaître les lieux.

— Anh Dũngt’es où ? supplia-telle et lui sembla que la personne prononçait une fois encore son prénom vietnamien et lui répondait dans cette langue d’une voix ténue. Un bruit de respiration et l’on raccrocha. Anh Dũng !

Sophie secoua son téléphone comme si son frère allait lui répondre davantage. Elle tenta de rappeler, mais personne ne décrocha. Il lui vint l’idée de contacter les secours, elle s’expliqua brièvement, mais donna le maximum de renseignements, donna le numéro de son frère en espérant que son idée pourrait servir. Appela le policer qui avait donné sa carte, elle lui transmit tous les détails en priant que cela serve à quelque chose.

En revenant en classe, elle croisa Stan, quand il tenta de l’attraper par le bras, elle se délivra de toutes ses forces et lui hurla de dégager, de la laisser tranquille. Les gens se retournèrent afin d’observer la scène. Des sourires amusés, des gloussements ou encore des murmures se propagèrent. Anaïs la cousine de Justine, qu’elle avait su mettre dans sa poche, était ses yeux et ses oreilles au sein du lycée, les prit en photo et envoya la scène à la jeune femme qui sut l’exploiter à son avantage. Presque tout le monde avait vu les photos et la vidéo postées par Justine. Quant à ceux qui ne les avaient pas encore découvertes, les autres élèves leur passèrent l’adresse, les photos s’échangèrent. Tout le monde y allait de son petit commentaire, les pour et les contre Stan. Une grande majorité des filles étaient forcément contre lui, sans même se poser la moindre question. Certes le jeune homme n’avait pas toujours été sympa avec les filles, mais après tout pour avoir une relation physique il faut au moins être deux et, lui n’avait jamais forcé personne. Certains en prirent conscience, mais à leur âge c’était rarement le cas. En peu de temps, l’affaire tourna au règlement de compte, à l’affrontement. Et en ce mercredi matin, trois jours après cette soirée, Stan, la victime, était vu comme le fautif, peu importait les moyens employés par Justine que rien ne pouvait justifier. Les insultes, les menaces allaient bon train aussi bien sur les réseaux sociaux où bon nombre de gens s’exprimaient, souvent derrière un pseudonyme, sans vraiment connaître la réalité. Tous avaient leurs avis sans se demander ce que Stan ou sa famille pouvait penser, ses amis tout comme les proches de Justine qui dans une moindre mesure subissaient la même chose sauf qu’elle en avait provoqué les réactions.

— Sophie !

La main de Pauline l’arrêta.

— Laisse-là, tu ne comprends pas qu’elle ne veut pas de toi et ce n’est pas le moment.

— Et Anh Dũng ? Vous avez des nouvelles ?

Pauline haussa les épaules, elle n’en savait rien. 

En cours, Sophie avait la tête ailleurs, elle écoutait à peine et Madame Bernardin le remarqua, le professeur de littérature la rabroua à plusieurs reprises pendant les deux heures. Mais Sophie n’avait qu’une chose en tête : son frère ; persuadée que c’était lui qu’elle avait entendu, un râle plus exactement. Quand midi sonna, elle débarrassa sa table, fit tomber ses affaires, ses mains tremblaient et elle peinait à contenir ses larmes. Au moment de sortir, le professeur de lettres lui ordonna de rester. Pauline attendit à la porte et lorsqu’elle entendit la femme disputer vertement Sophie pour son manque d’attention, la menaçant de la virer de son cours la prochaine fois si elle continuait ainsi, Pauline entra dans la pièce et se planta devant madame Bernardin.

— Vous n’avez aucune empathie, vous ne pouvez pas comprendre que Sophie se fait du souci pour son frère qui a fugué ?

— Il y a un temps pour tout mademoiselle et je ne vous ai pas demandé votre avis ! Vous passerez au bureau du CPE pour votre insolence !

— Mais bien sûr et vous pour votre manque d’humanité, on vous dira quoi ? J’espère que vous n’avez pas d’enfants, je les plains avec une telle mère !

Pauline agrippa le bras de Sophie demeurée silencieuse et dont les larmes coulaient sur les joues, la tira et l’emmena avec elle malgré les vitupérations du prof. La fille à la chevelure fuchsia prit son amie par les épaules et la sortie de l’établissement. Elle repoussa Stan et Iwan sans douceurs malgré leurs protestations. Elle l’aida à monter dans le bus et la ramena jusque chez elle. Pendant tout le trajet, Sophie pleura sur l’épaule de Pauline, le cœur étreint par l’angoisse. Depuis cette voix qu’elle avait entendue, elle se demandait sans cesse sil s’agissait de son frère et dans quel état pouvait-il se trouver.

— J’ai peur… Qu’est-ce qu’il a fait ?

— Tu as peut-être cru que c’était lui, c’est peut-être quelqu’un d’autre qui a décroché.

— Non, je suis certaine que c’était lui. Il n’y a que lui qui m’appelle Sao Mai.

Quand elle passa la porte, la jeune fille se précipita dans les bras de sa mère.

— Maman je l’ai entendu ! Je te jure, je l’ai entendu.

— Je sais, calme-toi !

— Maman je l’ai entendu !

Lan Anh la repoussa doucement et la fit asseoir dans un des fauteuils du salon.

— Calme-toi Sophie. La police m’a appelé vers les onze heures. Quelqu’un avait appelé les secours, les pompiers ont retrouvé ton frère dans un squat.

— Il est vivant ? demandatelle la peur au ventre de crainte d’entendre une réponse qu’elle redoutait depuis des heures.

— Oui ! Il l’est et très certainement grâce à la personne qui a contacté les secours. Ils prétendent que c’est sa sœur, c’est vrai ?

Sophie hocha la tête et expliqua entre deux sanglots ce qui s’était passé.

— Je dois aller le rejoindre à Paris, il est à l’hôpital. Je t’attendais, mon sac est prêt. Je t’ai laissé de l’argent, les courses sont faites et ton père ne rentrera que mercredi prochain, il a dû rallonger son voyage. Je ne sais pas quand je vais rentrer, sans doute avant la fin de la semaine. Je t’ai laissé les coordonnées de madame Jarosz, si tu as besoin de quelque chose, tu peux la joindre quand tu veux.

— Je viens avec toi !

— Non ! Tu as cours demain, tu ne vas pas manquer, je ne tiens pas à avoir encore cet Antonionni sur le dos.

— Maman !

— Il n’y a pas à discuter ma chérie. Je t’appelle dès que j’arrive !

— S’il te plaît !

— Non ! Cesse de discuter !

Lan Anh embrassa sa fille sur le front et attrapa son sac de voyage, que Sophie n’avait pas encore remarqué, avant de prendre son trousseau de clés posé sur la petite console d’acajou dans l’entrée et franchir la porte. Lorsque la Juke quitta l’allée, Sophie était toujours assise dans son fauteuil.

Il lui fallut quelques minutes pour réaliser ce qui venait de se passer et s’apercevoir que Pauline était toujours là.

— Je n’ai même pas eu droit à un merci ni même à un mot pour me dire comment il allait vraiment. Rien comme toujours, constata Sophie d’un ton plein d’amertume.

— Ta mère est chamboulée, elle n’aurait pas dû prendre sa voiture dans un tel état.

— C’est toujours comme ça. J’ai la sensation d’être un pot de fleurs dans cette famille, on me confit à quelqu’un sans me demander mon avis, c’est un peu comme si on avait demandé à madame Jarosz de venir arroser les plantes. Je ne sais même pas dans quel hôpital il est, pourquoi est-il là bas ? Rien. Souvent, j’ai l’impression de ne pas exister.

— Ne dis pas ça, ta mère t’adore.

— Parfois, je me le demande, pourquoi mes parents ont eu un deuxième enfant… et à côté de ça, ils étouffent complètement Mathias.

— Ne dis pas ça. Le smartphone de Pauline émit un bref bip signe qu’un SMS était arrivé. Elle regarda l’écran et s’excusa auprès de son amie. Sa mère l’attendait et elles devaient se rendre à Bourges pour l’après-midi.

— Ce n’est pas grave, t’inquiète pas je vais m’en sortir. Va retrouver ta mère.

— Merci, je suis déjà à la bourre.

Pauline était à peine sortie de chez Sophie que son téléphone sonna, le numéro de téléphone de Stan s’afficha. Elle fronça les sourcils et appuya sur le bouton vert.

— Qu’est ce que tu veux ?

— Qu’est-ce qui se passe avec Sophie ?

— Écoute, si tu lui foutais la paix ça ne serait pas mal, non ? Elle n’a ni envie de te voir ni de te parler. Alors lâche-là et tu m’oublies au passage !

Elle raccrocha sans attendre la réponse.

****

— Je t’avais prévenu, fit remarquer Iwan à son frère. Ça se voit que tu n’as pas l’habitude qu’une fille te dise non.

— Parce que tu ten prends souvent toi des râteaux ?

— Non, mais je sais aussi m’éclipser quand il faut ! Toi t’es tellement habitué aux filles et aux femmes qui te tombent dans les bras que lorsque tu en as une qui te dit non, tu ne comprends pas.

— Mais c’est toi qui ne comprends pas. Il y a eu un truc entre nous, Sophie ce n’est pas n’importe quelle fille. Tu sais très bien ce qui s’est passé samedi. S’il n’y avait pas eu l’autre folle, elle ne me repousserait pas. Sophie ne me laisse même pas la possibilité de m’expliquer, et en plus avec ce qui se passe sur les réseaux.

— Ça passera et dans quelques semaines tu trouveras un autre cul à fourrer.

— Bin merci comment tu me vois ! Cette fille m’a attiré dès que je l’ai vu et le coup de foudre ça ne te dit rien ?

— Stantu es mon petit frère, et ça fait déjà quelques années que je te vois faire. Que la fille ait 16 ans ou la femme 40, c’est pareil. Depuis presque quatre ans, je te vois changer de petite amie très souvent, je ne compte plus le nombre de fois où tu as en plus eu des coups d’un soir. Heureusement que tu te protèges sinon tu serais une poche à MST. Des gonzesses sur qui t’as flashé, je ne les compte plus et tu ne crois pas que Sophie a autre chose à penser que ta petite personne ? Le problème c’est que même l’épisode Justine ne t’a pas servi de leçon.

— Sophie c’est différent, j’ai envie de rester avec elle. Jamais, une fille ne m’a fait cet effet. Elle a quelque chose de plus, ce n’est pas que sexuel. Tu as l’air de croire que je ne m’intéresse qu’aux potiches de service. Je voudrais juste qu’elle m’écoute.

— Et toi tu es bouché, elle ne veut pas de toi, point barre. Sophie a été claire, nette et précise quand je l’ai ramené. Elle ne veut pas entendre parler des potes de son frère et après tout ce qu’elle m’a raconté je la comprends. D’ailleurs il faut qu’on en parle de Anh Dũng.

— Ça ne peut pas attendre ?tu vois j’ai un peu besoin de calme. Après ce qui s’est passé ce week-end, j’ai besoin de faire un break.

— On a un concert le mois prochain je te rappelle.

— Je sais, ce n’est qu’une question de jours. Après ce qu’a fait Justine, je n’ai pas envie de draguer, si cest ce que tu veux savoir. Prendre conscience qu’on m’a drogué pour m’avoir, j’ai du mal à encaisser.

— Laisse Sophie, elle aussi elle a besoin d’être tranquille, on ignore tous où est son frère. Dans quelques mois avec un peu de chance, tout sera rentré dans l’ordre et tu verras bien à ce moment-là. Tu devrais venir répéter avec nous, ça te sortira tout ça de la tête.

— Mmm !

Lorsque les deux frères sortirent, ils ne firent pas attention à la petite Twingo garée à quelques mètres ni à la jeune femme qui les observait. Elle les suivit jusque chez Thomas, mais resta à bonne distance.

Stan avait besoin de se changer les idées, aussi il se donna à fond comme sil avait été en concert, s’adressant à un public fictif.

— Hé mec, tu nous fais ça au prochain concert et ça va déchirer grave ! Je ne sais pas ce qui t’a motivé ainsi, mais c’était génial.

— On sen fume un petit ? Tu l’as bien mérité !

****

Justine pas si loin que ça pianotait sur son téléphone, elle regardait les messages sur les réseaux sociaux et savourait la teneur que prenaient les évènements, bientôt Stan deviendrait un pestiféré et cette greluche de même si elle avait le malheur d’approcher encore une fois l’objet de tous ses fantasmes.

****

Sophie, une fois seule, grignota sans entrain ce qu’elle trouva dans le réfrigérateur. Incapable de se mettre à son travail, elle se changea, alla piquer une tête dans la piscine et se prélassa au soleil. Mais elle était si inquiète qu’elle ne parvenait pas à rester en place, elle rejoignit donc sa chambre, prit le premier roman qu’elle trouva et se plongea dans un livre dont elle ne connaissait pas l’auteur, la couverture l’avait intrigué et elle l’avait acheté sur un coup de tête. L’histoire fantastique ne put la sortir de son état d’esprit. Elle regardait sans cesse l’heure, s’assurait que sa mère ne lui avait pas envoyé un SMS. Les minutes semblaient s’égrener avec la lenteur d’un escargot sous lexomil. Elle redescendit, retourna à la piscine, fit quelques longueurs et remonta se doucher. Dès qu’elle quitta la salle de bain, elle vérifia pour la énième fois son Xiaomi, un SMS l’attendait :

« Je suis bien arrivée à l’hôpital. Je t’appellerai plus tard. »

Quand elle tenta d’appeler sa mère, elle tomba sur le répondeur. Elle essaya de joindre son frère, mais elle essuya un second échec. Dégoûtée d’être ainsi tenue à l’écart une fois de plus, elle jeta le smartphone sur son lit et décida de suivre les conseils de Pauline et d’Élodie. Pendant des années, elle avait suivi les avis de ses parents, fait ce qu’ils exigeaient. Lan Anh choisissait ses vêtements, sa lingerie, ses chaussures… jusqu’à ses bijoux… Sophie se rendait compte qu’elle étouffait d’un côté et que de l’autre elle semblait transparente. Seule devant son ordinateur, elle écuma les sites que ses deux amies lui avaient indiqués. Elle en trouva d’autres et acheta tout ce qui lui faisait plaisir. Des 250 € mensuels que ses parents lui donnaient depuis des années, ses étrennes, Sophie dépensait peu et avait une somme rondelette sur son compte. Aussi, elle ne se priva pas. Des vêtements plus originaux que ceux qui remplissaient son dressing. Quelques bijoux et même du maquillage. Les photos de filles aux cheveux décolorés et teints de couleurs pastels la tentaient bien. Sophie fit une folie en commandant une perruque aux couleurs opales. Il était trop tard pour aller chez le coiffeur, mais elle se promit de se rendre dans un salon pour changer de couleur et en finir avec ses longs cheveux noirs lissés. Il lui tardait de recevoir tout cela et d’en terminer avec l’image de la petite fille sage. Tous les vêtements que Pauline avait mis de côté avant cet épouvantable samedi soir lui semblaient appartenir à une autre. Elle les attrapa et les mit dans un grand sac poubelle en se jurant de les donner à une association. Elle enfila le seul jeans noir slim qu’elle possédait et choisit un t-shirt à dos nu qu’elle n’avait jamais mis. Elle terminait son tri lorsque la sonnette retentit. Sophie descendit les marches en manquant de se casser la figure.

Quand elle ouvrit la porte, madame Jarosz attendait.

— Bonsoir, je viens te chercher, tu ne vas pas rester toute seule dans cette grande maison. Le temps que ta mère ou que ton père rentre tu vas rester à la maison. Prépare un sac et je t’emmène.

— Mais je peux très bien m’occuper de moi même et puis ma mère a fait des courses.

— Ce n’est pas un souci, on va congeler ce qui peut l’être et on va emporter ce qui doit être consommé rapidement. Avec tout ce qui vous est arrivé, tu ne vas pas rester toute seule, un peu de compagnie ne te fera pas de mal. Ta mère ignore quand elle rentrera et te savoir seule ici n’est pas possible. J’imagine que tout cela a dû te chambouler. Un peu d’attention ne pourra pas te faire de mal. Aller prépare un sac. Je m’occupe du réfrigérateur. Pense à emporter tes affaires de cours. Et prends un maillot de bain !

Il était évident que madame Jarosz n’écouterait pas ses protestations et Sophie malgré tout appréciait ce geste, elle avait peu envie d’être seule ce soir là… sauf qu’elle ne souhaitait pas se retrouver sous le même toit que Stan. Mais faire comprendre cela à madame Jarosz risquait d’être fort compliqué et quand elle tenta de se justifier, la mère des deux garçons refusa d’entendre quoi que ce soit. Aussi, elle remonta dans sa chambre et prépara un sac pour les trois prochains jours, ajouta sa trousse de toilette, mais laissa le fer à lisser. Dans un sac à dos, la jeune fille prit son ordinateur portable, ses chargeurs et avant de redescendre elle envoya un SMS à Pauline pour l’avertir qu’elle partait chez les Jarosz pendant quelques jours. Elle aurait sans doute préféré rester dormir chez sa copine. Rosa savait que Sophie avait mis de la distance entre elle et les deux frères après ce qui s’était passé. La mère de famille estimait que c’était à eux de régler cela et elle ne souhaitait pas intervenir et elle le lui affirma sans détour. Sophie appréhendait de se retrouver face à Stan qu’elle avait évité le matin même d’autant plus que ses sentiments envers lui n’eussent pas changé d’un iota.

Elles traversèrent toute la ville et Sophie découvrit un quartier pavillonnaire à l’ouest de la ville dont les rues portaient toutes un nom de fleurs. Le vendredi soir, vu l’heure tardive, elle n’en avait pas aperçu grand-chose. Rosa arrêta sa Capture rouge devant une villa de grande taille au style méditerranéen, la façade ocre et les menuiseries mauves détonnaient un peu au milieu de ces demeures blanches aux toits gris. Le terrain abritait un grand jardin et comme elle ne tarda pas à le découvrir une piscine couverte que les occupants de la maison pouvaient utiliser en toute saison.

— Vous avez une bien belle villa.

— Merci. Mon mari est entrepreneur, ça aide bien et mon hobby est la décoration. J’ai toujours voulu que ma maison soit un nid douillet pour ma petite famille. Quand elles entrèrent par la porte-fenêtre donnant sur la terrasse, une odeur alléchante arrivait de la cuisine. Elles trouvèrent monsieur Jarosz et Éva en train de cuisiner. Rosa avait averti son mari de la présence de Sophie pendant qu’elle allait la chercher. Celui-ci l’impressionna avec sa très haute stature et sa carrure en conséquence. Elle nota que ses fils, surtout Iwan, lui ressemblaient beaucoup. L’aîné des garçons possédait les mêmes cheveux blonds cendrés que son père portait courts, les deux frères avaient les mêmes yeux d’un gris bleu translucide et Stan le même sourire charmeur. Le cadet avait cependant un petit quelque chose du charme italien de sa mère, la même chevelure sombre et son teint à peine ambré. Rosa était une femme de quarante-cinq ans environ à la beauté latine et Éva en était tout son portrait. Tout de suite la famille Jarosz la mit à l’aise, Alexy, la petite dernière, une adolescente de treize ans l’entraîna à l’étage vers les chambres et lui montra celle qu’elle allait occuper jusqu’à ce qu’un de ses parents rentre. Une belle pièce moderne dans un camaïeu de… rose et de gris. Bien qu’elle n’aima pas trop cette couleur girly, elle reconnut que cela était fait avec goût. Chaque meuble ou objet était disposé afin de créer une atmosphère douillette.

— Tu aimes les jeux vidéo ?

— Un peu, mais je ne joue pas souvent, nous on ne joue pas trop chez moi… mes parents, surtout ma mère n’aime pas trop et c’est elle qui choisissait ce que l’on avait le droit de jouer.

— Oh, sont pas très cool tes parents, nous on joue parfois en famille quand mes parents ont le temps.

— Pas toujours cool en effet.

— Ils font quoi comme travail tes parents ?

— Mon père est ingénieur dans la robotique et ma mère est prof d’anglais et de langues orientales.

— Super, ton père fait des robots ? demanda fort intéressé la benjamine des Jarosz.

— On peut dire ça, il est au Japon en ce moment pour la mise au point de nouveaux robots.

— Génial, j’adorerai aller au Japon, tu y es déjà allé toi ?

— Oui une fois quand j’étais petite.

Sophie installa ses affaires et suivit l’adolescente. Elle était loin de s’attendre à être accueillie de la sorte, la famille Jarosz se montrait gentille, chaleureuse. Elle venait de redescendre quand son téléphone sonna. Sa mère appelait enfin. La conversation fut courte. Le temps de l’informer qu’elle était toujours à l’hôpital et qu’elle restait à Paris quelques jours jusqu’à la sortie de son frère. Puis Lan Anh raccrocha. Sophie ne savait rien, où était hospitalisé Mathias, pourquoi ? Pas le moindre mot de la part de madame Nguyễn Văn Lô afin de l’informer des détails, pas le moindre mot pour lui demander si elle allait bien. Sophie avait juste eu le temps de lui dire où elle se trouvait.

Elle regardait son smartphone l’air dubitatif et ne ressentit que de la déception une fois de plus.

— Ça ne va pas ? s’inquiéta Éva devant la mine triste de la jeune fille.

— Si ça va.

— Je ne crois pas. Qu’est ce qu’il y a ?

— Toujours la même chose… il y en a toujours pour mon frère Mathias, parfois j’ai l’impression de ne pas exister, d’être juste la parfaite petite fille, mais pour ma mère je ne suis que ça, une petite fille qui ne fait jamais de vagues, qui fait ce qu’on attend d’elle.

— Je suis désolée, viens. Éva la fit asseoir sur le canapé. Explique-moi.

— Tu dois croire que je suis une vilaine gamine jalouse de son frère aîné.

— Je ne crois rien.

Sophie lui expliqua en quelques mots la situation. Son impression d’être toujours la cinquième roue du carrosse, les soucis de Mathias avec la drogue, ses copains, les problèmes de délinquance… Kim. Son père souvent absent avec qui elle s’entendait bien, mais qui exerçait une telle pression sur les épaules de Mathias, à tout le temps lui reprocher de ne pas être le fils qu’il aurait aimé qu’il soit. À ne voir en Sophie que la parfaite petite fille qu’il faut protéger et qui n’acceptait pas au final qu’elle ait pu grandir.

— Tu sais les parents ne sont pas des gens parfaits, affirma monsieur Jarosz qui avait entendu la conversation sans intervenir.

— Excusez-moi, Éva, sais-tu où sont tes frères ? questionna Rosa.

— Parti répéter comme tous les mercredis, pourquoi ?

— Il est presque vingt heures et ils ne sont pas rentrés.

****

— Stan ? C’est bon on peut rentrer maintenant ? T’es sûr que tu vas y arriver ?

— Ouais, ouais.

Stan tira une ultime fois sur le joint et le laissa à ses copains. Le jeune homme avait abusé, il sen était enfilé plusieurs et avait bien servi le dernier, aussi il tenait à peine debout et son frère dut l’aider à entrer dans la Clio.

— Putain Stan t’abuse, regarde-moi ça dans l’état où tu t’es mis. Maman m’a déjà envoyé trois SMS. Tu tiens à peine sur tes pattes.

Iwan envoya un SMS à sa mère pour l’informer qu’ils arrivaient. Après, un court voyage, il se gara devant la villa familiale tandis qu’il n’était pas encore vingt heures trente. Il secoua son frère endormi.

— Laisse-moi dormir…

— Bouge ton cul !

Iwan le fit sortir et l’aida à marcher jusqu’à la maison. Quand ils franchirent la porte et se retrouvèrent dans le salon, les deux garçons demeurèrent interdits en découvrant Sophie assise sur le sofa en pleine discussion avec Éva et leur père.

Rosa qui amenait un plateau de jus de fruits et d’apéritifs accompagnés de petits canapés les informa :

— Sophie va rester quelques jours avec nous jusqu’à ce que ses parents rentrent.

— Mon frère a été retrouvé.

— Super ! Il va bien ? demanda Iwan.

— J’en sais rien !

Stan faisait un effort surhumain pour rester debout. Il contourna tant bien que mal son frère et s’affala dans le seul fauteuil vide. Les idées embrouillées par l’abus de cannabis et les quelques bières qu’il avait bues. Sophie avait trop vu son frère dans un tel état, il l’ignorait, mais il lui renvoyait une image qu’elle ne voulait plus voir, une image signe de souffrance.

— Stan ! Viens dans mon bureau ! ordonna Bohdan Jarosz. Stan ! Bouge-toi !

Iwan aida son frère à se lever et voulut le suivre.

— J’ai dit Stan !

Sophie suivit du regard le jeune homme marchant d’un pas lourd et hésitant.

— Ce n’est pas son habitude… fit remarquer Iwan. Je suis désolé…

— Tu n’as pas à t’excuser.

— Qu’est ce que vous avez fichu ? demanda Rosa excédée.

— Moi rien ? Maman tu sais très bien que lorsque je conduis je suis toujours raisonnable. On était chez Thomas, on jouait. Stan ne va pas bienje ne sais pas ce qui lui a pris, mais il a fumé comme un porc. Ce qui s’est passé ce week-end ça lui remue la cervelle. Et puis cette garce de Justine avec ce qu’elle a fait sur les réseaux sociaux ça n’arrange pas les choses. Aujourd’hui ils sen prennent à Stan, bientôt ce sera à moi… et ça va retomber sur le groupe, sur la famille.

— Tu exagères peut-être un peu.

— Ah oui ? Je ne crois pas non. Regarde !

À ces mots, Iwan tendit son smartphone à sa mère et elle put voir les photos, les commentaires sur la page Facebook de Stan. Tous ces messages de haine. Cet acharnement contre quelqu’un que la plupart ne connaissaient même pas.

Rosa vit la foule de messages, les clichés et même la petite vidéo tournée par Justine. Les messages lus lui brisèrent son cœur de mère. La peine et la colère montèrent et elle jura :

— Puttana !

— Maman !

Un flot d’insultes en italien sortit de la bouche de madame Jarosz sous les yeux ébahis de ses enfants et de Sophie.

— On en discutera après manger. Excuse-nous Sophie pour tout ça. J’aurais préféré te recevoir dans de meilleures conditions.

— Ne vous en faites pas, c’est gentil à vous.

Pendant qu’Éva et Alexy mettaient la table et que leur mère rejoignait son mari et Stan dans le bureau, Iwan s’approcha de Sophie.

— Je sais que tu n’as pas trop envie de nous voir Stan et moi après ce week-end, j’imagine ce que tu as pensé en voyant mon frangin dans cet état. Mais sil te plaît, parle-lui. Je crois, je suis même certain que tu lui plais vraiment.

— Je lui ai déjà dit ce que j’avais à lui dire.

— Hé bien, une bonne discussion entre quatre yeux serait préférable.

— OK, je verrai ça.

— Un petit conseil, n’écoute pas ce que disent les uns et les autres… je crois que Stan craque vraiment pour toi.

Un bon quart d’heure plus tard, Stan et ses parents sortirent du bureau et tout ce petit monde passa à table. Il ne cessait de jeter des coups d’œil à Sophie qui s’était placé le plus loin possible de l’adolescent. Une fois le repas terminé Stan s’approcha de la jeune fille et l’entraîna vers l’extérieur loin des regards de sa famille et hors de portée de leurs oreilles. Iwan fit comprendre à tout le monde de les laisser seuls.

La main de l’adolescente dans la sienne, il la conduisit vers le fond du jardin près de la cabine où il avait si souvent joué avec son frère. Il posa sa main sur le cou de la jeune fille et caressa sa mâchoire du pouce.

— Je suis désolé pour ce qui s’est passé, je n’aurais jamais voulu ça. Je n’imaginais pas que Justine sen prendrait à toi. Sophie, je

Il s’approcha un peu plus d’elle et la plaqua contre le mur de bois avant d’effleurer ses lèvres. Sophie que Stan troublait le laissa faire et quand il l’embrassa elle répondit à son baiser comme elle l’avait fait le samedi soir puis elle finit par le repousser en murmurant un non timide.

— Pourquoi ?

Le jeune homme ne comprenait pas, elle répondait à ses lèvres, à ses caresses puis le repoussait sans explications. Alors, il prit son visage entre ses mains et plongea ce regard d’un même gris bleu presque translucide des Jarosz.

— Dis-moi ce que je t’ai fait. Ne me dis pas que tu ne veux pas de moi. Je sens encore le contact de ta langue contre la mienne, je me souviens de tes caresses… samedi si au lieu de rentrer dans cette maudite boîte, je t’avais entraîné vers les bords du Cher, nous savons tous les deux comment cela aurait fini. Je sais, je sens qu’il y a quelque chose entre nous. Sophie répond-moi !

— Je ne veux pas Stan !

— Mais pourquoi ?

Quand il se plaqua contre elle, il perçut le rythme de sa respiration accélérer, il ne vit pas les yeux de Sophie se fermer et l’effort qu’elle dut faire pour le repousser.

— Je ne veux pas c’est tout !

— Non, ce n’est pas tout ! Pourquoi me repousses-tu, pourquoi malgré ce que tu ressens, tu dis non. Je sais que tu en as envie autant que moi. J’ai envie d’être avec toi, de tout partager, je n’ai pas qu’envie de faire l’amour, j’aimerais tellement qu’on soit ensemble et

Ce qu’il lui chuchota les lèvres contre son oreille la fit rougir. Oh que oui elle s’imaginait très bien dans ses bras, sa peau contre la sienne. S’imaginer faire l’amour avec Stan ne lui déplaisait pas, bien au contraire, elle en mourait d’envie.

— Tu as peur ? Tu ne l’as jamais fait ? Tu n’as rien à craindre, je saurais me montrer doux, je n’ai rien d’une brute. Je ne e demande pas de faire l’amour, là tout de suite, juste d’être avec moi !

Elle posa la main sur son torse et le repoussa doucement. Stan n’était pas du genre à forcer une fille.

— C’est juste non ! Puisque tu veux tout savoir, je n’ai pas du tout apprécié ce qui s’est passé avec Justine, j’ai déjà vécu ce genre de chose et je n’ai pas envie d’être de nouveau la tête de Turc d’une folle. Je connais ta réputation et en effet je n’ai pas envie d’être ta énième conquête, la énième fille que tu culbuteras… comme je t’ai dit, je préfère éviter les amis de mon frère et ce que j’ai vu ce soir me fait dire que j’ai raison.

— Je ne culbute pas comme tu dis… je fais l’amour et avec toi j’ai envie de plus que ça.

— Plus que ça ?

— Oui plus que ça… bien sûr que j’ai une envie folle de toi, mais j’ai envie que ça dure entre nous, j’ai envie de passer du temps avec toi… Il s’est passé quelque chose entre nous. Il y a quelque chose chez toi de différent, je n’ai pas qu’envie de toi, je sais que tu es très jeune et moi aussi… mais j’adorerai qu’on passe du temps tous les deux… j’ai kiffé grave quand on a chanté ensemble. J’ai envie de tout connaître de toi… ton cœur, ton corps et ce qu’il y a dans ta tête, toutes tes envies, tes désirs. Au lieu de me fuir, j’aurais préféré que tu me parles, je peux aussi être ton ami, si tu as envie de pleurer je peux te prêter mon épaule… J’ai envie de tout savoir de toi, de tout connaître.

— Non Stan

— Je ne comprends pas tes raisons. Je ne suis pas un des potes parisiens de ton Anh Dũng.

— Je n’ai pas envie de savoir !

— Qu’est-ce que tu me reproches à la fin ?

— Mon frère choisit très mal ses amis et je n’ai pas envie d’en refaire les frais. Ta famille est super sympa, mais tu n’es pas ta famille. Je ne veux plus avoir affaire à Justine, je n’ai pas envie d’avoir mon petit ami saoul ou défoncé avec tout ce que ça engendre. Je n’ai pas envie de devenir une cible à cause de Justine et de ses messages sur les réseaux sociaux.

Ce dernier argument l’acheva. Il comprit que ce n’était pas la peine de lui ouvrir son cœur davantage…. Soit elle n’avait pas compris ou n’avait pas voulu comprendre. Stan la relâcha.

— Va tenet alors qu’elle s’éloignait, mais restait à portée de voix, il ajouta comme un reproche douloureux, tu n’essaies même pas d’apprendre à me connaître, tu m’as jugé et condamné sans appel.

Stan se laissa tomber sur le sol, tenté de se faire un dernier joint, mais il avait promis à ses parents de ne plus recommencer ou du moins de se montrer raisonnable. Les Jarosz toléraient que leurs enfants consomment du cannabis tant que cela demeurait occasionnel et sans excès, son père s’était bien chargé de lui rappeler fermement avant le repas dans son bureau. Il n’envoya pas paître Iwan lorsque celui-ci le rejoignit. L’aîné des garçons trouva son cadet affalé sur le sol, la tête entre ses bras reposés sur ses genoux repliés.

C’était la première fois qu’Iwan voyait son frère retenir des larmes. Jamais il ne l’avait vu pleurer pour une fille, mais il était évident que Sophie avait emprisonné son cœur et possédait le pouvoir de le briser. Stan n’avait pas besoin de cela après les derniers évènements et voir son frère au trente-sixième dessous lui noua l’estomac. Il s’assit près de son cadet, passa un bras fraternel autour de ses épaules et le serra contre lui sans rien dire. Il était désolé pour Stan, mais il comprenait hélas les réactions de Sophie.

— Elle a peur, juste peur… laisse-la, elle reviendra vers toi, elle n’est pas prête. Sophie n’a pas encore dix-sept ans… il ne faut pas lui en vouloir.

— Elle n’essaie même pas d’apprendre à me connaître, elle ne voit que le superficiel, ce qui se dit sur ces maudits réseaux… elle a une telle piètre image de moi.

— Montre lui qui tu es.

— Même ça elle ne veut pas savoir. Iwan… tu as déjà été amoureux… ?

— Non pas depuis le CP. Si ça avait été le cas, tu le saurais. Samedi, j’ai longuement discuté avec Sophie, ne la précipite pas, si elle ressent vraiment quelque chose pour toi, elle viendra d’elle même. Ne la harcèle pas.

— Ce n’est pas mon genre, une fille veut ou pas. Je sais les amener où j’ai envie, mais le gros stalker c’est pas mon truc. Je ne suis pas Justine.

— Je sais bienprends ton temps, séduits la comme tu sais si bien faire. Montre-lui ce que tu es : le mec génial, l’artiste, tu sais qu’elle y est sensible, celui sur qui on peut compter, ton humour. D’après notre discussion vous avez bon nombre de points communs… Et arriver défoncer ici devant elle c’était vraiment la mauvaise idée. Mais tu ne pouvais pas savoir qu’elle serait là.

Ils restèrent un moment à observer le ciel.

— Iwan ?

— Quoi ?

— Je l’aime, je suis fou d’elle et j’ai été incapable de le lui dire.

— Dis-lui en musique…

Catégories : Children of Styx

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