Des cris, des bruits vinrent de la chambre de Mathias dans la soirée peu avant de passer à table. Le jeune homme descendit en trombe de sa chambre, sortit et enfourcha sa moto avant de disparaître sans un mot. Quand sa mère ne le vit pas revenir alors qu’il était déjà plus de 22H, elles commencèrent à s’inquiéter un peu plus.
Que s’était-il passé ?

Lan Anh puis Sophie tentèrent de le joindre en vain. Sa sœur lui envoya un message, puis encore un autre, elle finit par recevoir une réponse.

Foutez-moi la paix !

L’adolescente en informa sa mère, mais ne put réponde à ses questions, elle-même ignorait les raisons de ce départ brusque. Il n’était pas loin d’une heure du matin quand le bruit d’un moteur se fit entendre dans l’allée. Lan Anh poussa un soupir de soulagement, Mathias était de retour. Quand il entra, il évita toutes les questions et devant sa mine défaite, pour une fois elle n’insista pas. Sophie qui avait fini par se coucher entendit son frère dans la pièce contiguë, il lui sembla percevoir comme des sanglots, aussi elle se leva, enfila le peignoir de satin bleu nuit qu’Élo lui avait offert par-dessus la nuisette assortie et se faufila dans le couloir. Elle gratta à la porte de Mathias, mais celle-ci était fermée à clé, personne ne lui répondit quand elle l’appela, alors, elle retourna se coucher. Inquiète pour son frère elle dormit mal.

Mathias quant à lui ne dormit pas de la nuit, il resta assis sur le sol en appui contre le mur pendant des heures. La fenêtre ouverte lui envoyait les bruits de la nuit qu’il n’écoutait pas. Le regard perdu dans le vague, toute vie semblait l’avoir quitté, quand son réveil sonna, il se leva tel un automate, prit sa douche et le miroir de la salle de bain lui envoya un reflet fatigué, des cernes sous ses yeux aux pupilles dilatées. Son poing atterrit dans la vitre et la fendit, un peu de sang s’accrocha aux morceaux brisés. Il enfila les premiers vêtements venus et partit pour le lycée sans un mot.

— Vous avez tous les deux la tête des mauvais jours, vos copains vont finir par croire que l’on a enterré quelqu’un.

— Tu as vu Mathias ?

— Entre aperçus serait plus juste, il avait une sale tête.

— J’ai mal dormi, mais je crois que lui n’a pas dormi du tout… Maman, je crois qu’il ne va pas bien… Tu sais il est très amoureux de sa copine.

— Il est jeune, il en trouvera une autre.

— Je crois que tu ne comprends pas, Kim est une saloperie, mais il en est fou amoureux. Qu’est-ce que tu dirais si papa s’en allait à l’autre bout de la terre ?

— Paris ce n’est pas l’autre bout de la terre, mais je crois que je serais triste, il me manque déjà quand il s’en va quelques jours. Quand nous étions jeunes mariés, il est parti pendant quelques mois à l’étranger, ça a été très difficile.

— Alors tu peux comprendre.

Sophie aperçut son frère au cours de la matinée, il affichait un air morose. Amélie les avait invitées à les rejoindre à la cafétéria, Stan en profita pour s’asseoir à côté de la jeune fille et tenta de faire connaissance, quant à elle, elle observait son frère sans vraiment faire attention à ce que le chanteur des Children of Styx lui racontait. Mathias ne décrochait pas un mot, il pianotait sur son smartphone sans faire attention à ceux qui l’entouraient. Elle se promit de lui parler le soir même. Quand elle rentra chez elle en fin de journée, la moto de Mathias n’était pas là bien qu’il finit une heure plus tôt qu’elle. Les heures passèrent et son frère n’était toujours pas de retour. Lan Anh veilla toute la nuit guettant le retour de son fils. Bien qu’il ne soit pas encore majeur, ce n’était pas la première fois qu’il découchait.

Inquiète, elle tourna en rond jusqu’au petit matin, ses appels demeurèrent sans réponses, ni même les SMS. Quand il fut évident que Mathias ne rentrait pas, elle appela son mari. Quand il décrocha, Paul se rendit compte que quelque chose n’allait pas, sa femme était au bord des larmes.

— Mathias n’est pas rentré.

— Il rentre toujours, il est peut-être resté chez un copain. Si le lycée appelle, ce sera plus problématique et Sophie, elle ne t’a rien dit ?

— Elle ne sait pas où est son frère.

— Elle doit bien connaître ses copains ou du moins les gens de sa classe, tu m’as dit qu’il allait peut-être jouer dans un groupe, ils savent peut-être quelque chose.

Quand Sophie se leva, elle avait les traits tirés, elle aussi n’avait pour ainsi dire pas dormi. Sa mère l’emmena un peu plus tôt au lycée avec l’espoir d’y trouver son fils. La moto n’était pas sur le parking, elle regarda le planning qu’il lui avait donné quelques jours plus tôt, mais le vendredi il commençait sa journée à 10H, elle rentra chez elle dépitée.

Quand Pauline vit la tête de son amie, elle lui dit.

— Mais qu’est ce que t’as fait ? Tu as fait la fête toute la nuit, tu as vu la mine que tu tires.

Les larmes aux yeux, Sophie lui répondit.

— J’aurais préféré, mon frère n’est pas rentré… il ne répond pas ni aux appels ni aux SMS. Déjà mercredi soir quelque chose n’allait pas, il est parti et est rentré à 1H du mat, et je suis certaine qu’il n’a pas dormi de la nuit.

— T’affole pas comme ça Mathias est un grand garçon, je suis sûre qu’il ne lui est rien arrivé, il a peut-être dormi chez un pote ou avec une fille.

— Une fille ? Ça ne risque pas !

— Ton frère est gay ?

— Pas du tout, mais il a une copine et c’est plutôt le genre fidèle, il en est raide dingue… tu sais bien c’est à cause d’elle que j’ai pris une mega baffe.

— Demande à ses potes à la pose de 10 H. T’es sûre de les trouver ou à midi.

— Stan n’est pas dans sa classe peut-être qu’il est déjà là.

— Aucune idée, on va au Sas, il y est peut-être.

Les deux jeunes filles se rendirent à ce que les élèves appelaient le SAS, un petit espace aménagé à proximité de l’internat où bon nombre d’élèves se retrouvaient surtout parmi les sections artistiques. Mais elles n’y trouvèrent pas les frères Jarosz. Personne n’avait vu Stan ni Mathias. En cours, Sophie se fit rabrouer par madame Bernardin parce qu’elle n’écoutait pas vraiment le cours.

A 10H, Sophie se précipita vers le SAS, Pauline à ses trousses. Elle ne trouva pas ceux qu’elle cherchait.

— Ils sont peut-être aux grilles en train de fumer, suggéra la fille aux cheveux fuchsia.

Pas de traces d’eux non plus.

— Mais ce n’est pas vrai !

— Ils ont peut-être séché les cours tous ensemble… ils commencent bien l’année fit observer Pauline.

— Mmm…

Sophie reçut un SMS de sa mère, lui demandant si elle avait des nouvelles de son frère.

— Allez viens, calme-toi, on va le retrouver ton frangin, il est peut-être dans le petit bois ou dans un des « squats » à proximité.

— Que veux-tu qu’il fiche là-dedans ?

— Pas mal d’élèves y vont, il y a des bâtisses désertes, ils y fument, y font des tags et parfois même certains y niquent.

— Je n’aurais jamais le temps de tout faire.

— Viens, on va au foyer en passant par le petit bois.

Là elles y trouvèrent d’autres élèves, mais personnes qu’elles ne cherchaient, arrivé au foyer il était temps de retourner en cours. Sophie regardait l’heure à sa montre toutes les cinq minutes.

— Mademoiselle Nguyễn vous êtes donc si pressé de quitter le cours, auriez-vous peut-être si faim, laissez donc cette pauvre montre, la rabroua son professeur d’anglais.

À midi, elle sortit de cours telle une fusée.

— Hé attends-moi !

Cette fois elle trouva Stan et Iwan installés au SAS. Sophie se dirigea droit vers eux.

— Vous avez vu Mathias ? demanda-t-elle de manière peu civile.

— Bonjour ça ne t’écorcherait pas ! fit remarquer Iwan.

— Moi je veux bien être ton Mathias, répondit Stan avec un large sourire. Assieds-toi donc, tu vas nous expliquer tout ça, car nous on ne connaît pas de Mathias.

— Je crois qu’elle parle de Anh Dũng.

— Oui je le cherche partout !

Devant l’air paniqué de la jeune fille, Stan lui fit une place entre son frère et lui-même. Ils demandèrent aux autres de les laisser seuls, aussi les deux frères, Sophie et Pauline restèrent seuls au SAS.

— Ton frère n’est pas venu en cours ce matin.

Sophie éclata en sanglots. Stan qui ne comprenait pas ce qui se passait l’attrapa par les épaules.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Entre deux sanglots, elle leur expliqua que son frère avait disparu la veille et qu’il ne répondait pas. Elle espérait qu’il était avec eux. Stan en profita pour la serrer contre lui, décidément la sœur du guitariste lui plaisait beaucoup.

— Si tu veux, on va le chercher ensemble. Hier, on a bien vu que quelque chose n’allait pas, mais on ne se connaît pas encore assez. Il n’a pas décroché un mot.

— Pareil en cours, on ne l’a pas entendu, d’un autre côté ton frère n’est pas très loquace… et il a séché ceux de fin d’après-midi.

Stan passa un pouce léger sur les joues inondées de Sophie.

— Viens, on va voir si on le trouve.

Stan se leva et lui tendit la main pour l’aider à se relever. Son frère en fit de même et ils firent tous quatre le tour de l’établissement. Pauline proposa d’aller acheter un kebab à chacun et de se retrouver sur les pelouses. La moto de Mathias n’était pas là et ils ne trouvèrent aucune trace de lui. Quand Pauline tendit son kebab à Sophie, celle-ci n’en voulut pas.

— Je n’ai pas faim.

— Tu devrais manger un peu, au moins la moitié, lui conseilla Stan. Je prendrais le reste si tu veux.

Il attrapa une fritte et la lui tendit, sa gentillesse, ses attentions eurent raison de la morosité de Sophie. Après le repas, Stan et Iwan l’emmenèrent dans tous les coins où les lycéens se retrouvaient, des maisons abandonnées du quartier, l’un et l’autre appelèrent d’autres personnes en donnant le signalement de Mathias, mais personne ne l’avait vu, les heures passèrent en vain. Ils n’étaient pas retournés en cours et malgré leur bonne volonté il fallut bien se rende à l’évidence, son frère avait disparu. Sophie avait informé sa mère heure par heure, celle-ci n’avait même pas reproché à sa fille de n’être pas allée en cours. La disparition de Mathias chamboulait la famille Nguyễn Văn Lô, d’autant plus avec le passif du jeune homme.

Il y avait déjà un moment que les cours étaient terminés quand Lan Anh demanda à sa fille de rentrer.

— On va te ramener chez toi.

Ils montèrent tous trois dans la petite Clio verte d’Iwan et partirent vers le quartier Saint-Jean. Elle s’arrêta quelques minutes plus tard devant la villa. Madame Nguyễn les invita à entrer, désirant faire connaissance avec les musiciens avec qui son fils devait jouer et qui avaient aidé sa fille.

— Nous sommes désolés, madame, nous avons cherché tout l’après-midi, mais personne ne l’a vu. Vous n’avez pas une idée de qui il aurait pu aller voir ?

— On vient d’arriver, je crois que mon frère ne connaît personne d’autre que vous. Je ne vois pas où il aurait pu aller. Je reviens je vais poser mes affaires.

Stan suivit Sophie du regard, il n’imaginait pas que cette fille qui lui plaisait viendrait vers lui dans de telles conditions, il aurait préféré apprendre à la connaître autrement. L’adolescente posa son sac dans un coin de sa chambre envoya un rapide SMS à Élodie qui l’en avait inondé.

Salut Élo,

Désolé peux pas te parler pour le moment. Mathias a disparu.

Bisou !

Sophie entra dans la chambre de son frère, espérant peut-être trouver un mot, quelque chose. Elle trouva un véritable chantier, lui toujours aussi ordonné avait laissé une pagaille innommable, pire elle retrouva une de ses guitares brisée comme si il s’était acharné dessus, les restes de plusieurs joints qu’elle subtilisa et jeta dans les toilettes, en ressortant elle découvrit le miroir brisé de la salle de bain, le sang sur les débris. Elle sortit précipitamment en criant :

— Maman !

Sa mère monta suivit des frères Jarosz.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Viens voir !

Le cœur de Lan Anh se serra, craignant le pire, elle resta effarée sur le pas de la porte devant la pagaille qui régnait, les Cds renversés, les restes de la guitare, les feuilles éparses par terre, le sang sur la moquette et pour finir le miroir en morceaux.

— Mathias… mon Dieu qu’as-tu fait ? C’était sa guitare préférée, mais que s’est-il passé ici ? Ses partitions.

— Oui c’est celle qu’il avait achetée avec Kim.

— Kim ? demanda Iwan.

— La petite amie de mon frère.

— Regardez si vous trouvez quelque chose.

Les trois adolescents cherchèrent parmi les feuilles éparses si Mathias avait laissé quelque chose, un mot, une explication. Stan tenta de triller les partitions, les textes des chansons écrites par le frère de Sophie, un texte attira son attention.

— Sophie… tu connais cette chanson ?

La jeune fille prit le texte entre ses doigts, elle ne semblait pas finie et ses paroles ne lui disaient rien, mais le contenu du texte lui était sans équivoque. Il s’était passé quelque chose entre Kim et Mathias, le refrain était celui d’un amour déçu, d’un cœur brisé.

Pressentant le drame familial, Iwan suggéra qu’il était peut-être l’heure de partir. La mère de Sophie qui était devenue pâle, les pria de rester, elle ne se sentait pas la force de rester seule avec Sophie, elle-même au quatrième dessous.

— Sophie commande des pizzas s’il te plaît.

Les trois adolescents descendirent au rez-de-chaussée, Stan proposa une pizzeria en disant que c’était une des meilleures.

— Je te conseille la Macho ou la 4 Fromages.

— Deux de chaque, ça vous paraît bien ?

— Oui nickel !

La jeune fille se retenait de pleurer devant finalement deux inconnus. Où pouvait-être son frère, mais sa plus grande peur était qu’il ait eu un geste inconsidéré. Demander lui brûlait les lèvres, ce quelque chose qu’elle n’osait formuler. Stan s’approcha d’elle, il posa une main douce sur sa joue.

— Quelque chose te met la tête à l’envers, à quoi penses-tu ?

Sophie leva les yeux vers lui, des yeux humides où les larmes menaçaient de déborder à chaque instant. Elle fit un effort surhumain pour oser formuler ce qui la taraudait.

— Il y a un endroit où les gens vont se suicider ?

— Oui, pas très loin d’ici tu veux que l’on aille voir ?

— J’y vais affirma Iwan, restes là avec elles. On ne sait jamais.

Iwan sortit et regagna sa voiture, il partit en direction de Néris-les-Bains, une petite ville thermale où passait un pont surplombant la rue des Moulins d’une belle hauteur. On y avait même fait du saut à l’élastique quelques années plus tôt. Moins de dix minutes plus tard, les phares de sa voiture éclairaient les lieux. Il descendit et fit le tour. Il monta jusque sur le pont désert, ne voyant personne il envoya un SMS à Stan afin de rassurer Sophie. Quand le bip retentit sur le portable du jeune homme, l’adolescente le fixa osant à peine respirer.

— Il n’y a rien. Te voilà rassurée ?

Elle éclata en sanglots contre son torse. Surpris Stan la laissa faire. Quand Iwan revint, elle commençait à peine à se calmer. Lan Anh redescendit à peu près au même moment après avoir appelé son mari.

— Mangez sans moi, je vais appeler le commissariat, ton père ne peut pas rentrer pour le moment. J’imagine que tu n’as aucune idée d’où il peut être.

— Je crois que le souci vient de Kim… il est peut-être parti à Paris.

— En moto ? Avec un 80cc ? Non je pense qu’il aurait pris le train, rétorqua la mère de Mathias

La sonnette de la porte retentit, madame Nguyễn se précipita sur la porte, mais ce n’était que le livreur de pizza.

Ils s’installèrent sur le comptoir de la cuisine américaine et se partagèrent les pizzas. Le cœur n’était pas aux discussions, tous mangèrent en silence. La mère de Sophie toucha à peine à son assiette tant elle était préoccupée.

N’y tenant plus, Lan Anh appela police secours malgré l’heure tardive afin de leur signaler la disparition de son fils. Une demi-heure plus tard tandis que les trois adolescents débarrassaient et nettoyaient la vaisselle, un officier de police se présenta. Il reposa les mêmes questions qu’elle avait faites aux frères Jarosz et à sa fille. Il nota l’immatriculation de la moto, le numéro de téléphone du disparu, celui de sa petite amie à Paris, les noms et prénoms de ses amis qu’il fréquentait quand ils habitaient encore la capitale. C’était un peu gênée qu’elle lui apprit que Mathias était déjà connu des services de police à Paris.

— Savez-vous s’il consomme toujours des stupéfiants ?

— Pas à ma connaissance. Nous sommes ici depuis une dizaine de jours, il est resté à peine plus de deux jours au lycée, je ne sais vraiment pas quoi vous dire de plus. Je crois bien que les seules personnes qu’ils côtoient depuis que l’on est arrivé sont déjà ici.

Les deux frères confirmèrent, Mathias ne parlait pas à grand monde, il ne cherchait pas à nouer contact. Sophie signala que son frère se faisait la plupart du temps appeler par son second prénom. Elles affirmèrent qu’elles avaient contacté la famille sur Paris au cas où il les contacterait, mais après ce qui s’était passé l’année précédente, le jeune garçon n’entretenait plus de bons rapports avec ses grands-parents. Le policier demanda à voir la chambre de l’adolescent, il en fit le tour nota le désordre inhabituel, quelques vêtements manquaient ainsi qu’un sac. Visiblement Mathias était repassé à l’appartement pendant l’absence de sa mère le jeudi après-midi. Quand il finit ses interrogations, il demanda à Lan Anh qu’elle ou sa fille reste en permanence au domicile au cas où il prendrait contact ou revienne. Le policier retourna au commissariat en l’assurant qu’elle serait tenue informée de l’enquête. Les frères Jarosz s’apprêtaient également à prendre congé, ils attendirent quelques minutes après que le policier soit parti.

— Nos potes nous attendent, tu veux venir avec nous Sophie ? Ça te changerait les idées, si ta mère veut bien. Sinon on repassera demain si vous voulez, proposèrent-ils, on ne sait jamais peut-être que Anh Dũng sera rentré ou aura donné de ses nouvelles.

— Merci c’est gentil. Vas-y Sophie cela te fera du bien. Madame Nguyễn avait beaucoup apprécié les deux frères, leur gentillesse. Elle les trouvait si différents des amis parisiens de son fils. Elle se sentait en confiance et poussa Sophie à partir avec eux. Je ne vous demande qu’une chose, c’est de ramener ma fille en entier, sans problèmes.

— Ne vous inquiétez pas, je suis le capitaine de soirée, je le suis toujours en fait, affirma Iwan en agitant les clés de sa Clio. Je prendrais soin de votre fille comme si c’était ma petite sœur. Et Iwan était sérieux, du haut de ses vingt ans il prenait très à cœur ses responsabilités. Les Jarosz étaient une famille très soudée.

L’adolescente hésita, mais le sourire, l’insistance des deux frères eurent raison de ses scrupules à laisser sa mère seule. Elle se retourna vers Lan Anh qui lui confirma qu’elle pouvait partir.

— Aller, dépêche-toi tes amis vont être en retard.

— OK, je vais prendre une douche et me changer et j’arrive.

— Évite de mettre deux heures, lui dit Iwan pendant qu’elle montait déjà les escaliers.

Sophie s’expédia sous la douche et dix minutes plus tard elle se séchait. Après un maquillage léger pour cacher l’hématome qui ornait sa joue, elle enfila le seul jean slim noir qu’elle possédait et un chemisier blanc à nouer agrémenté d’une paire de sandales beiges à petits talons. Une demi-heure après être monté, elle retrouva les deux frères au salon.

— Ça va, je n’ai pas été trop longue ?

— Nickel, t’inquiètes t’es moins longue que Stan. On y va on doit aussi passer chez nous prendre une douche et nous changer. 

Sophie embrassa sa mère et partit avec les deux frères. Elle découvrit ainsi la villa des Jarosz, une fort belle maison que leur père avait lui-même construite, elle aima les couleurs chaudes de cette demeure aux tons méditerranéens.  Tout le monde était soit couché soit déjà sorti. Aussi Stan fit entrer l’adolescente dans sa chambre pendant qu’il allait se préparer.

— Fais comme chez toi !

Sophie regarda autour d’elle, curieuse de découvrir l’antre du jeune homme. Une chambre bien loin de celle que l’on peut imaginer chez un ado, artiste de surcroîts…  La pièce plutôt grande était parfaitement rangée, les murs blancs ornés de photos monochromes de musiciens, le mobilier noir laqué donnaient une touche graphique à l’ensemble. La seule touche de couleur était un rouge intense de quelques coussins, des fleurs et celui des instruments de musiques, un clavier à côté duquel une pille bien alignée de partitions et de textes reposaient.  La bibliothèque l’attira rapidement, elle y trouva bon nombre de biographies de musiciens, des ouvrages divers concernant la musique, mais aussi des romans fantastiques, de la fantasy, des thrillers…. la collection de CD’s et de vinyles la laissa rêveuse, des albums inédits, des originaux, du métal en passant par le jazz ou de la musique classique. Elle pensa à son frère qui en cet instant était elle ne savait où, mais qui aurait bavé devant certain des titres présents. 

N’osant rien déranger, Sophie s’installa sur le fauteuil face à l’ordinateur, elle feuilletait une revue musicale restée sur le bureau quand Iwan entra. 

— Il n’est pas prêt… pourquoi je ne suis pas surpris… Stan est pire que certaines filles… au moins toi tu n’as pas mis des plombes… Tu veux boire quelque chose ? Il fait chaud ce soir.

— Je veux bien.

L’adolescente suivit le jeune homme au rez-de-chaussée, elle s’installa avec lui dans la cuisine et ils discutèrent de musique en attendant que Stan soit prêt. Une demi-heure après le cadet les rejoignit.

— Ça y est tu t’es fat belle ? le taquina son aîné. 

— Oh ça va !

— J’envoie un SMS à Jordan. Une fois fait il les invita à le suivre. 

Ils reprirent la Clio et partirent vers le centre-ville où se situait la boîte de nuit, où ils se rendaient presque tous les week-ends. Leurs copains les attendaient installés sur des fauteuils, quelques bouteilles face à eux. Amélie les vit arriver et s’avança vers eux.

— Bin alors vous étiez passé où ? T’es pas venu en cours cet après-midi.

— Non, il y avait une urgence, Anh Dũng a disparu.

— Comment ça disparu ?

— On pense qu’il a fait une fugue lui apprit Sophie.

— Oh merde, mais pourquoi ?

— C’est compliqué, une histoire de fille, je crois, ajouta Iwan. 

— Outch.

— C’est un peu plus compliqué que ça, mais mon frère est dingue de cette fille et il supporte mal la séparation, mais c’est une vraie pétasse.

L’adolescente se retrouva assise entre les deux frères, ils faisaient leur possible pour qu’elle se sente à l’aise et lui faire oublier ses soucis. Iwan lui faisait penser à son frère, à la manière qu’il était avec elle, avant Kim et que les drogues ne le changent. Stan lui se sentait attiré par la jeune fille, elle lui plaisait beaucoup, elle le troublait même. Il finit par lui proposer la sentant soucieuse :

— Tu veux aller prendre un peu l’air, il fait chaud ici.

— Oui avec plaisir.

— Attends-moi trente secondes.

Stan se dirigea vers son frère sur la piste de danse.

— Tu peux me passer les clés de la Clio ?

Iwan fronça les sourcils.

— Tu ne vas pas me dégueulasser les sièges et…

— Iwan, je voulais prendre juste une bouteille d’eau et des mouchoirs rien d’autre.

— MMM…

Son frère lui tendit les clés malgré ses doutes. 

Stan revint vers Sophie et la prit par la main. Il l’entraîna sur le parking et lorsqu’elle le vit ouvrir la voiture, elle eut une hésitation un bref instant, mais il ne l’invita pas à entrer, il en sortit une bouteille d’eau et des mouchoirs qu’il mit dans ses poches. Referma la voiture.

— On sera mieux au bord de l’eau, non ?

Stan la prit par la main de nouveau et le jeune couple partit vers les berges du Cher à quelques pas. Ils marchèrent en silence durant quelques minutes puis le jeune homme l’invita à s’asseoir sur un des bancs installés sous les arbres. 

— Ça va aller ?

— Non, fit Sophie tout en secouant sa tête de gauche à droite. Non… je… et elle éclata en sanglots.

Stan s’y attendait, il comprenait sa détresse, lui il avait envie de la voir sourire, il la prit contre lui et la sœur de Mathias posa sa tête sur son épaule. Là elle déversa tout ce qu’elle avait sur le cœur. Stan l’écouta en silence, et lui tendit un mouchoir de temps à autre. 

— Les policiers le retrouveront.

— J’ai peur qu’il fasse une connerie… 

— Il ne faut pas… il ne prend plus rien n’est-ce pas ?

— Non, mais… ce sont mes parents et le juge qui l’ont forcé à faire une cure de désintox… lui il n’en avait pas envie et Kim ce n’est pas elle qui va l’en empêcher… c’est le genre à avoir les narines pleines de coke ou une seringue dans le bras… c’est à cause d’elle qu’il a plongé.

— Aie !

— Comme tu dis.

— Aller sèche moi ces larmes, tu vas bientôt ressembler à un lapin malade. Je t’imagine bien avec de grandes oreilles et un petit nez rose.

Voir ce grand jeune homme se dandiner en tentant d’imiter l’animal provoqua le fou rire de Sophie malgré sa tristesse.

— Ah voilà c’est comme ça que je t’aime ! 

Stan se figea en se rendant compte de ce qu’il venait de dire alors qu’il tenait le visage de Sophie entre ses mains. Troublé par ce geste, ses paroles, il se pencha vers elle et effleura ses lèvres. Tous deux sentaient des papillons valser dans leurs entrailles. Sophie répondit à ce baiser chaste et le jeune homme l’attira vers lui pour un second baiser beaucoup moins sage. Son rythme cardiaque accéléra d’un coup, de la sueur nimba ses tempes et un désir brutal, impétueux l’étreignit. L’une des mains du chanteur descendit le long de son dos pour s’attarder sur ses reins. Ils échangèrent un long et profond baiser qu’aucun des deux ne désirait vraiment interrompre. 

Sophie était aussi surprise qu’enchantée. Stan lui plaisait beaucoup, pire elle avait ressenti un véritable coup de foudre pour l’autre adolescent. Quand elle sentit sa main sur la peau de son dos, ce contact léger et chaud, cette caresse douce elle émit un soupir de plaisir. Jamais elle n’avait ressenti cela, que ce soit avec Dao ou Hugo. Stan la faisait frémir et elle se laissa faire quand il l’invita à s’asseoir à califourchon sur ses genoux face à lui. 

Lui aussi était surpris tant par ce désir impétueux que par le maelstrom d’émotions qui l’assaillait. Il l’attrapa par la taille et la plaqua contre lui avant de reprendre ses baisers, il butina sa gorge, remonta le long de ses maxillaires jusqu’à sa bouche qu’il prit d’assaut, arracha des gémissements de plaisir à la jeune fille. En cet instant, il remercia le destin qu’elle ne se soit pas mis en jupe, il était certain que si elle n’avait pas choisi un jean, ils seraient en train de faire l’amour sur ce banc… et il n’avait pas envie de ça, pas avec elle. Il l’imaginait plutôt allongée, nue sur son lit.  Il était presque certain que Sophie était encore vierge. 

Stan ne voulait pas être celui qui lui ferait perdre son pucelage de cette manière, à la va-vite sur un banc public. Il était certain qu’elle lui en voudrait, même si elle répondait à ses baisers, à ses caresses avec la même fièvre, il la sentait hésitante, un brin maladroite.

Il finit par la repousser doucement, reprit ce beau visage entre ces mains et plongea son regard dans les iris noirs de Sophie.

— Qu’est-ce qui nous arrive ? 

Stan ne put voir dans la pénombre le rouge monter aux joues de l’adolescente. Il effleura une nouvelle fois cette bouche qu’il avait envie de dévorer puis il l’invita à se relever.

— On devrait rentrer…

Elle acquiesça sans mot dire, Stan passa son bras autour de sa taille et ils retournèrent dans la boîte sans un mot. Il ne la lâcha pas de la soirée sous le regard étonné de ses copains et de son frère. Ils repartirent vers cinq heures tous trois en direction de la villa des Nguyễn Văn Lô.

Au moment de lui dire au revoir, Stan posa sa main sur le cou de la jeune fille et lui demanda si ça allait aller. Il lui donna son numéro de téléphone et lui fit promettre de l’appeler si il y avait du nouveau ou si elle avait besoin de parler à quelqu’un. Il l’embrassa sur le front et s’engouffra dans la Clio. Sophie regarda les feux arrière disparaître et se sentit vide d’un coup. La journée avait été intense et si il y avait bien quelque chose à laquelle elle ne s’attendait pas, c’était bien de recevoir de l’aide de la part des frères Jarosz qu’elle connaissait à peine et qui finalement connaissaient peu son frère. Les potes parisiens de Mathias ne se seraient pas donné cette peine et pourtant elle les connaissait pour certains d’entre eux depuis aussi longtemps qu’Élodie.

Sophie dormit très mal encore cette nuit-là, elle trouva le sommeil tandis que le soleil était déjà levé et fut réveillée par la sonnerie de son téléphone portable alors qu’il était presque midi. Encore à moitié endormie, elle répondit d’une voix ensommeillée. Le timbre chaud de Stan la sortit de cet état à moitié comateux.

— Bonjour… Je suis désolé de te réveiller, je pensais que tu serais déjà levée.

— Bonjour, qu’est ce qu’il y a ?

— Je voulais juste savoir si vous aviez des nouvelles, le commissariat m’a appelé ce matin pour me poser de multiples questions et… j’ai envie de te voir.

— Je ne sais pas… j’ai pas réussi à m’endormir avant le matin… excuse-moi d’être grognon, mais là je dormais bien.

— Je vais te laisser te reposer alors, nous passerons dans l’après-midi, on a annulé la répétition…

— OK, c’est gentil de t’inquiéter, puis elle raccrocha.

Sophie reposa son smartphone d’une main lourde et ne tarda pas à se rendormir.

Au rez-de-chaussée, Lan Anh tournait en rond comme un lion en cage. Toute la nuit elle avait tenté de joindre son fils. Elle avait bu des litres de thé, appelé son mari de nouveau. La mère du fugueur était morte d’inquiétude. Sans cesse elle regardait l’heure que ce soit sur la pendule murale, à sa montre ou sur son téléphone mobile. Les heures semblaient s’égrener avec une extrême lenteur. Mathias ne donnait toujours pas signe de vie. Elle avait appelé le meilleur ami de son fils, mais celui-ci lui avait affirmé n’être au courant de rien. Elle insista :

— Fabien, s’il te plaît promets-moi de me prévenir si tu as de ses nouvelles, nous sommes si inquiets.

— Ouais ouais, vous inquiétez-pas, lui répondit-il entre deux bouffées.

Lan Anh avait vu l’adolescent changer, du gamin adorable qu’elle avait connu lorsque son fils était entré en maternelle, il était devenu ce jeune garçon je-m’en-foutiste, dont tout semblait le désintéresser, ne respectant rien ni personne. Paul et elle-même n’avaient pas compris les raisons d’un tel changement et Mathias l’avait hélas suivit dans ses travers. Elle envisageait même que Fabien mente. Elle n’eut pas l’occasion d’en dire plus qu’il avait déjà raccroché, quand elle tenta de le rappeler, il coupa l’appel et elle tomba sur sa boîte vocale. Elle envisagea d’appeler Kim, mais la jeune fille avait changé de numéro.

Sophie trouva sa mère attablée devant un thé fumant en train de regarder son téléphone pour la énième fois.

— Maman tu devrais aller te reposer un peu.

— Non c’est bon. Dis-moi as tu le numéro de Kim ?

— Non, je l’ai supprimé il y a longtemps, cette garce je tenais à l’éviter.

— Sais-tu qui on pourrait contacter, tu connaissais les amis de ton frère.

— Oui, mais il y a un moment que je les évitais, à part Fabien je n’avais pas les numéros des autres.

— Tu ne connais pas leurs adresses ?

— Pas vraiment, tu sais ses potes je les évitais comme la peste. Je peux toujours voir si j’ai le numéro de Dao le petit frère de Kim. Il faut que je retrouve mon ancien téléphone j’avais laissé les numéros sur le portable quand vous m’aviez demandé de ne plus aller avec Mathias.

— Et Élodie ?

— Quoi Élodie ?

— Elle les connaissait aussi.

— Oui, mais Élodie n’est pas là, elle est au mariage d’un de ses cousins ce week-end.

— Quelle poisse ! Mas ce n’est pas vrai on ne va jamais le retrouver !

— Mais si !

Sophie prit sa mère dans ses bras et tenta de la consoler.

— Il reviendra… même si elle n’y croyait guère. Sophie taisait ses craintes, mais le texte de la chanson lui faisait craindre le pire.

Catégories : Children of Styx

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