Lundi de la rentrée 7H

Le réveil sonna de bonne heure, Sophie  éteignit par réflexe et la voix de sa mère ne tarda pas à se faire entendre pour qu’elle se lève. Juste en profiter encore quelques secondes… puis elle se leva et rejoignit la salle de bain pour se donner un coup de peigne rapide avant de descendre au rez-de-chaussée où elle trouva Mathias attablé devant un bol de thé brûlant.

— Qu’est ce que tu fais debout ?

— C’est moi qui t’emmène ce matin.

— Ouah mon frangin m’accompagne au lycée. Tu vas encore faire frémir toutes les filles. Elles vont encore toutes se demander quel est ce beau garçon qui m’accompagne.

— Et ça t’amuse en plus !

— Ce n’est pas moi qui ai un look de chanteur de K.Pop ou d’acteur de séries coréennes, avoue quand même que tu le cherches un peu.

— Et toi il ne te manque plus que les tresses pour la panoplie de la parfaite petite étudiante.

— Vous avez fini tous les deux ? demanda Lan Anh alors qu’elle déposait des toasts grillés devant ses enfants.

Après un rapide petit déjeuner, Sophie retourna dans sa chambre se préparer.

— Je t’attends à 9H devant la porte, ne traîne pas !

C’était le grand jour, comment allait-elle se préparer ? Sophie avait songé se mettre en jupe, mais comme Mathias l’emmenait sur sa moto, elle pouvait oublier une telle tenue. Il faisait chaud en ce début septembre. Aussi, elle sortit de son dressing un jean slim s’arrêtant à la cheville, un chemisier sans manche blanc et s’expédia sous la douche. Une fois sortie, il était temps de se préparer, Sophie était inquiète, tout était nouveau et si ça se passait mal, elle ne pourrait même pas se réfugier chez son amie qui habitait le même quartier qu’elle lorsqu’elle habitait encore à Paris. La jeune fille n’était pas une adepte du maquillage sophistiquée, ou du moins elle n’osait pas, aussi, elle se passa un peu de matifieur de teint, un peu de mascara noir pour allonger ses longs cils et se passa un rose mat sur ses lèvres à peine pulpeuses. Elle sortit de son placard la bouteille de parfum que sa mère lui avait offerte à l’occasion de son entrée au lycée : une bouteille de « Yes I am » de Cacharel. Elle aimait bien la petite bouteille en forme de bâton de rouge à lèvres. Après s’être habillée, l’adolescente attrapa son lisseur et se fit de grosses boucles. Le miroir lui renvoya l’image d’une jeune asiatique au teint claire, au visage fin en forme de cœur assorti de grands yeux pétillants noirs. Mathias et sa sœur se ressemblaient beaucoup, ils avaient tous deux hérité de leur mère cette peau délicate, ces pommettes hautes et bien dessinées. Sophie attrapa un foulard dans un des tiroirs du dressing, elle en avait une quantité astronomique, c’était son petit truc, il y en avait de toutes les couleurs, de matières différentes, elle choisit parmi eux, un grand carré de soie bleu turquoise que son frère lui avait offert pour son anniversaire. Elle le noua autour de son cou, ajouta une paire de fins anneaux du même bleu, l’ado passa une main dans sa chevelure et satisfaite elle referma la porte de la salle de bain. Elle avait encore un peu de temps pour elle. Elle en profita pour envoyer un SMS à son amie.

Coucou

Je pense à toi.

Bisou

La réponse ne tarda pas.

Coucou toi !

Je quitte le métro.

Moi aussi et bon courage pour tout.

Agrémenté d’un selfie pris juste pour elle. Élodie affichait un sourire radieux, ses longs cheveux blonds impeccablement lissés, le perfecto de vinyle rose et le ras du cou de la même teinte ajoutait une note de gaieté dans le ciel gris parisien. Sophie fit à son tour un selfie et l’envoya à sa copine. Elle hésita un instant entre ses converses fleuries qu’elle adorait et sa paire de Stan Smith, mais elle préféra les premières. Elle attrapa son sac à dos et descendit les escaliers. Mathias l’attendait déjà perché sur son 80cc. Il lui tendit le casque.

— Désolé pour tes bouclettes…

Elle s’installa derrière son frère et ils s’en allèrent vers le lycée. Le jeune homme se faufila dans la circulation dense à cette heure-là. Il gara sa moto sur le parking des visiteurs et accompagna Sophie. Quelques parents étaient venus avec leurs enfants, Mathias jeta un œil amusé autour de lui, quelques regards curieux le détaillèrent ainsi que sa sœur. Un pot de bienvenue et un buffet attendaient les nouveaux arrivants. Il remarqua deux autres profils asiatiques dans l’assemblée, au moins ils ne seraient pas les seuls pensa-t-il. Sophie repéra le nom de sa classe sur le tableau d’affichage.

— Je te laisse ! À toute !

Déjà son frère s’éloignait et la laissait seule, un peu perdue.

— Salut !

Sophie se retourna et découvrit une fille aux cheveux coupés au carré d’un rose fuchsia au look un peu particulier, en effet elle était vêtue de ce rose et de noir, quelques piercings et un petit tatouage dans le cou dépassait de son t-shirt noir lui arrivant au nombril. Devant le regard interrogatif, l’inconnu se présenta. Pauline lui apprit qu’elles étaient dans la même classe et qu’elle avait doublé sa seconde. Alors qu’elles se dirigeaient vers la salle de classe où les attendait leur professeur principale, madame Bernardin allait leur enseigner le français, Pauline lui demanda qui était le mec avec qui elle était arrivée.

— Mathias ? C’est mon frère.

— Il est canon…

— Mmm, il a une petite amie.

— Pas de problème, je ne suis pas jalouse, et la jeune fille éclata de rire.

Toute la matinée, Le prof principal leur distribua une foule de papiers à remplir, ainsi que le carnet de correspondance, puis leur présenta le lycée, le CDI. La classe de seconde était essentiellement constituée de filles, la population masculine représentait à peine un tiers des élèves. Parmi eux quelques redoublants, un ou deux arrivaient comme elle d’une autre région, et une partie se connaissaient déjà. Sophie était une personne réservée pour ne pas dire un peu timide. Elle vit le regard interrogatif des autres lorsque le professeur avait fait l’appel. Pourtant un prénom français avec un nom de famille vietnamien n’était pas si incongru que cela. À midi, on les relâcha, elle pouvait rentrer chez elle.

— On fait un bout de chemin ensemble ? Au fait tu habites où ?

— Si tu veux, à moins qu’on vienne me chercher. J’habite le quartier Saint-jean et toi ?

— Ah super, moi aussi, c’est dingue ça, lui apprit Pauline.

Le smartphone de Sophie sonna, sa mère lui demandait de rentrer en bus, car elle avait dû passer la Juke à son père, la sienne étant en révision, quant à son frère il était parti se promener et elle ignorait où il était.

— C’est comme tu veux, on rentre en bus ou à pied.

— Tu aimes marcher à pied ? demanda Pauline.

— Oui ça ne me pose pas de problèmes.

— Génial, comme ça on va pouvoir papoter et faire un peu connaissance. Il y a longtemps que tu habites dans le coin ?

— Non ça fait une semaine que l’on est arrivé de Paris.

— Ça va, tu ne t’ennuies pas trop ?

— Je n’ai pas eu trop le temps, il a fallu refaire la tapisserie de ma chambre, la décorer, les papiers, j’ai été très occupée. Je n’ai pas eu le temps de faire grand-chose d’autre.

— Si tu veux mercredi aprèm, on peut aller se balader, il y a le ciné, la piscine ou on peut traîner aussi. Ou faire les boutiques. En plus c’est cool, on a les mêmes options donc les mêmes heures de cours. Qu’est ce que tu fais après bouffer ? Si ça te tente on peut aussi aller voir des potes répéter.

— Je vais me poser et profiter de la piscine, si tu veux tu peux venir.

— Oh t’as une piscine, c’est génial. Pourquoi pas ça sera cool.

Les deux jeunes filles discutèrent le long du trajet et peu avant de se séparer, Pauline demanda.

— Excuse-moi je ne voudrais pas me montrer indiscrète, mais tu es de quelle origine ?

— Je suis française pourquoi ?

— Tes parents aussi ?

— Oui mes parents sont aussi nés en France, mais je vois ce que tu veux dire… mes arrières grands-parents sont arrivés en France en 1956 après la guerre d’Indochine, mais ils avaient déjà la nationalité française, ma mère c’est un peu différent… ses parents sont des boat people, elle est née peu de temps après. Chez moi on parle tous français sauf Mathias… tu verras il est un peu spécial.

— C’est le frangin que j’ai vu ce matin ?

— Oui, tu vas te faire jeter si tu l’appelles Mathias… en général il se fait appeler par son second prénom : Anh Dũng, ça veut dire courageux.

— Toi aussi tu en as un ?

— Oui, mais il n’y a que Mathias qui m’appelle comme ça. C’est Sao Mai, l’étoile du matin.

— C’est mignon. Ça te va bien. Il n’aime pas vos prénoms français ?

— C’est compliqué, il est un peu en conflit avec nos parents, il trouve que l’on n’a pas conservé notre culture. Mon père ne parle que français et c’est ma mère qui nous a appris la langue, elle est prof. Dès que Mathias le peut il ne parle pas en français, ça agace mon père… et quand il n’a pas envie de discuter avec les gens il fait celui qui ne comprend pas le français.

— Compliqué ton frère.

— T’imagine même pas. À toute à l’heure alors ? 15H ?

— Ouais, à toute !

Les deux adolescentes s’étaient échangé leur numéro de téléphone. Il était pas loin de 13H et elle était presque chez elle quand elle entendit le bruit de la moto de son frère. Il l’attendait devant chez elle, le casque à la main.

— Pourquoi tu ne m’as pas attendu ?

— Oui, j’ai eu le message de maman, mais je ne pouvais pas répondre. Pas grave, alors comment c’était ? Je t’ai vu avec une fille aux cheveux rose pétard. On dirait que tu t’es fait une copine. Tu as rencontré tes profs ?

— La principale, la prof de litté, bof elle a pas l’air sympa, elle a déjà gueulé sur certains d’entre nous.

— Bah on verra ça demain. J’espère que je n’aurai pas la même.

— J’espère que ce n’est qu’une impression et que je ne vais pas me la farcir trois ans.

— Je meurs de faim, pas toi ?

— Si.

Pendant qu’ils déjeunaient, le smartphone ne cessa pas de biper, exaspérant Lan Anh et Mathias, le bip caractéristique d’Élodie. Une règle d’or dans la famille Nguyễn Văn Lô, on ne sortait pas son smartphone à table sous peine de se le voir confisqué.

— Bon sang arrête-moi ce truc ! Mais c’est infernal.

Mathias attrapa le téléphone dans la poche arrière de sa sœur et éteignit l’appareil, l’envie d’appeler Élodie et de l’envoyer bouler le démangeait fortement.

— Mais ça va pas non, est ce que je fouille dans tes poches ?

— Tu n’avais qu’à l’éteindre avant ! Tu sais comment est ta copine, branchée, si on pouvait lui greffer une puce dans le cerveau ou un câble USB ça lui irait très bien !

Le repas terminé il lui rendit son Xiaomi. Sophie s’empressa de l’allumer et répondit à son amie. Elles se racontèrent par le menu leur matinée, leur première impression, les rencontres faites, elle lui parla de Pauline.

— Je n’oserais jamais avoir de tels cheveux roses. C’est super joli et ça lui va bien.

— Tu devrais essayer, avec ton physique ça serait super. Regarde Mathias ça lui va bien les cheveux décolorés.

— Oui, mais là on parle de mon frère. Il a déjà tapé dans l’œil de Pauline qui a voulu savoir qui était le canon qui m’accompagnait.

— Au fait, j’ai vu Kim, on est dans le même lycée. Elle s’est fait une colo sirène, ça lui va trop bien. Elle est conne, mais qu’est-ce qu’elle est belle, tu m’étonnes que Mathias sortait avec elle. Elle a un look d’enfer. Je te jure tu devrais essayer un bel opale ça t’irait trop bien.

— Ça pour être conne.. je la déteste. Je ne sais pas ce qu’elle a fait à mon frère, mais il est complètement accro à cette pouf.

— Tu veux un dessin peut-être ?

— Euh… non.

— Il faut que je te laisse, on se rappelle ce soir ?

— Bien sûr.

Pauline n’allait pas tarder à arriver, elle se changea et passa un maillot de bain, un simple bikini bleu marine, elle noua un paréo azur autour de sa taille fille, et enfila une paire de tongs de sa couleur préférée. Quand Sophie sortit, elle entendit son frère discuter avec ladite Kim, elle était désolée pour lui, mais elle ne doutait pas un instant qu’elle briserait le cœur de Mathias. Comment avait-il pu s’amouracher de cette fille ? Ça lui échappait. Elle descendait l’escalier quand la sonnette retentit. Sa nouvelle copine l’attendait sur le pas de la porte avec une tenue plus décontractée, un short et un t-shirt large.

— Je te fais visiter ?

— Si tu veux ?

Sophie lui fit le tour du propriétaire, Mathias toujours au téléphone ne jeta pas un regard vers cette inconnue quand sa sœur montra sa chambre à sa copine.

— Il vaut mieux le laisser avant de se prendre un truc dans la tête. Viens… monsieur est au téléphone avec sa pouf, une vraie pétasse celle-là, ajouta-t-elle en chuchotant. Si tu savais le nombre de crasses qu’elle m’a fait.

— Ah oui, mais c’est une vraie piscine… géniale je sens que je vais venir souvent squatter.

Après plusieurs brassées, des éclaboussures, des fous rires, les deux adolescentes sortirent de l’eau et s’installèrent dans les transats. Mathias raccrocha, Kim lui manquait et il était un peu déçu de cet appel. Comme il faisait beau, il eut envie de se changer les idées, il enfila à son tour un maillot de bain et ne prêta guère attention aux deux filles installées sur les bords de la piscine. Il ne remarqua Pauline que lorsqu’il sortit de l’eau, surprit par sa présence il en oublia d’afficher son coté froid. Comme il faisait très chaud en cet après-midi de début septembre, il leur proposa :

— Vous voulez boire un truc ?

— Merci ce serait sympa, au fait voici Pauline, Pauline voici mon frère Mathias, on est dans la même classe. Tu nous prépares une de tes spécialités ?

— Je préfère Anh Dũng, donc évite de m’appeler Mathias.

— Ça marche Anh Dũng ! Pauline se retourna vers Sophie, au fait c’est quoi sa spécialité ?

— Tu verras, on ne sait jamais d’avance, mais mon frère te fait des cocktails à tomber.

Quelques minutes plus tard, l’adolescent revint avec un plateau sur lequel étaient posés trois grands verts décorés de sucre coloré l’un rose pour Pauline, bleu pour sa sœur et pourpre pour lui même. Une grande paille et un mélangeur des mêmes couleurs dans des contenus colorés ou plusieurs teintes se superposaient, se mêlaient.

— Merci ! Ça sent bon et c’est beau. Elle mélangea son contenu et aspira dans sa peille. Mmm, mais c’est super bon, alors j’ai jamais bu un truc aussi bon, t’as mis quoi ?

— Secret… je ne les divulgue à personne. Il y a des fruits frais, des sirops et quelques autres petits trucs.

— Mathias garde ses mélanges secrets même nous on ne sait pas exactement ce qu’il met dedans. Mais à chaque fois c’est une excellente surprise.

Le jeune garçon s’installa à côté de sa sœur et se tourna vers Pauline.

— Alors si tu nous parlais un peu de ce bahut.

— T’es en musique, c’est ça ?

— Mmm !

— Il y a des gens plutôt sympas en musique, les sections artistiques c’est un peu à part. Ils traînent au sas, c’est un peu des phénomènes pour les autres. Si t’aimes faire des graphes il y a le mur, si t’as envie de jouer avec d’autres de temps en temps ou tout seul tu peux demander la salle quand elle est libre. La bouf est pas terrible, mais il y a pire. Les profs ça dépend… Bernardin, elle est chiante. Elle gueule sur tout le monde. Tu bouges une oreille et c’est fichu. Tu devrais te retrouver avec des gens cools, ceux de premières étaient sympas, je redouble si t’es timide je peux t’en présenter. J’ai de super potes qui font partie d’un groupe d’ailleurs ils cherchent un nouveau guitariste car la leure est partie. À sa dernière phrase, un petit rictus amusé se dessina sur le visage de Mathias.

— Pas timide, je me débrouillerai bien tout seul, t’inquiètes, j’aime pas les cons c’est tout.

— Moi non plus. Tu vas être normalement avec Iwan Jarosz, tu ne peux pas louper il dépasse allègrement le mètre 90… un géant blond et son frère Stan aussi brun que l’autre est blond et à peine plus petit… leur bande est plutôt cool, des célébrités au bahut et de supers musiciens. Je ne sais pas si tu aimes le métal et si tu connais ce genre, mais c’est un peu du style symphonique mais un peu plus énergique et Stan, c’est juste Stan il a une putain de voix, mais tu verras bien un peu comme le chanteur de Reinxeed, si tu connais.

— Ouais j’adore !

— Alors vous devriez bien vous entendre. Je t’imaginais plutôt écouter de la Kpop ou de la Jpop.

Sophie éclata de rire devant la mine de son frère et la remarque de Pauline.

— Quand je te disais que tu avais le look d’un chanteur de Kpop… au pire du VisualKei.

— Tu dis ça parce que j’ai une tête d’Asiatique… qu’est ce que tu imagines ? Tu crois quoi? Que tous les asiates bouffent du riz et écoutent de la kpop ou du VisualKei et qu’on est tous chinois !

Sur ce il se leva et partit.

— Je crois que tu l’as vexé, là il est vénère !

Pauline se leva et courut derrière Mathias.

— Mathias… Anh Dũng, attends ! Elle le rattrapa et le prit par le bras. Excuse-moi, je ne voulais pas être désagréable ou te vexer, vraiment je suis désolée.

— Ouais ça va ! Lâche-moi ! Va retrouver ma sœur… puis il continua en vietnamien et Pauline n’en comprit pas un traître mot, mais le ton employé et la manière dont il la regarda ne présageait pas que ce soit très sympa.

— Mathias ! Tu n’es pas obligé de l’insulter, c’est bon Pauline s’est excusée !

S’en suivit un échange entre le frère et la sœur assez houleux. Finalement Sophie prit sa copine par le bras.

— Viens, laisse c’est un con.

— Qu’est ce qu’il a dit ?

— Rien de très sympa, tu préfères ne pas savoir. Il s’est montré très grossier. J’adore mon frère, mais… depuis quelques années c’est difficile. Les moments agréables sont rares. J’espère qu’il se fera de nouveaux copains dans ce lycée, mais…

— Mais… ?

— Mathias a tendance à fréquenter des gens pas très cools.

— Ah… qu’est ce que tu entends par là ?

Mathias remontra le bout de son nez et en entendant les propos de sa sœur, son sang ne fit qu’un tour. Il fonça vers elle, l’attrapa brutalement par le bras et lui aboya dessus en vietnamien comme à chaque fois qu’il ne voulait pas que l’on comprenne, mais Sophie lui répondit, elle, en français.

— Ce n’est pas la peine de te montrer aussi désagréable ! C’est la vérité tes potes et ta pétasse de Kim sont des cons… et toi…

Sentant la situation dégénérer, Pauline s’éclipsa, elle alla chercher ses affaires dans la chambre de sa copine et s’excusa avant de partir afin de rentrer chez elle. Le frère et la sœur se disputaient violemment quand leur mère revint.

— Qu’est-ce qui se passe ici ?

— Mathias a insulté la copine que je me suis faite aujourd’hui. Comment veux-tu que je me fasse des amies s’il est aussi grossier avec les gens ! T’es vraiment un abruti Mathias.

— Et toi une petite pétasse ! Tu avais besoin de raconter ma vie à ta copine ! Et je te défends de parler de Kim !

— Kim, Kim par-ci Kim par-là, mais quand est-ce que tu comprendras que ta pouf est une salope qui s’enverra un autre mec dès que tu as le dos tourné. Qu’est-ce que tu t’imagines qu’elle va t’attendre. ta Kim c’est une salope !

Sophie la détestait tant, Lan Anh n’eut pas le temps d’intervenir que Mathias retournait une gifle magistrale à sa sœur et lui hurla dessus de plus belle. Le frère et la sœur en venaient aux mains. Leur mère dut intervenir et les séparer. Sophie arborait la marque de la main de son frère sur la joue. Elle pleurait autant de rage que de douleur.

— Mathias file dans ta chambre tout de suite !

— Mais !

— Va dans ta chambre !

Une fois son fils parti à l’étage, Lan Anh attrapa sa fille par le bras et la traîna jusqu’à la cuisine. Sortit une poche de glaçons et la tendit à l’adolescente.

— Mets ça sur ta joue ! Mais qu’est-ce qui vous a pris à la fin ? Ça ne va pas de vous battre ainsi ?

— Il a insulté Pauline parce qu’elle lui a dit qu’elle croyait qu’il écoutait de la Kpop. Il a été très grossier alors qu’elle le priait de l’excuser. Il n’est vraiment pas à prendre avec des pincettes.

— Ça ne te donnait pas le droit d’insulter sa petite amie.

— Cette pétasse de Kim ? Mais j’ai raison, je…

— Ça suffit Sophie, continue et ton autre joue va s’en prendre une histoire de t’inculquer la politesse. Tu vas présenter des excuses à ton frère !

— Non ! Il m’a giflé.

— Qui a giflé qui ? intervint monsieur Nguyễn qui venait de rentrer de son travail.

Il observa la joue rougie de sa fille où l’empreinte de la main de Mathias s’inscrivait. Qui t’a fait ça ?

— C’est Mathias !

Paul n’attendit pas la moindre explication et monta quatre à quatre vers la chambre de son fils. La porte claqua et des éclats de voix ne tardèrent pas à se faire entendre.

— Voilà que ça recommence, c’était trop beau. J’espère que tu es contente de toi. Tu n’avais pas à lui dire que Kim allait s’envoyer en l’air et toutes les méchancetés que tu as pu dire. Imagine un peu que ce soit Mathias qui t’ait dit le même genre de chose à propos de ton petit copain ?

— J’ai pas de copain !

— C’est le principe, tu crois que ça te ferait plaisir ?

— Mais c’est vrai, enfin, Kim est une vraie garce, méchante, vicieuse. Je me demande ce qu’il lui troue à cette pouf !

— Sophie, ça suffit !

La porte à l’étage s’ouvrit, les éclats de voix redoublèrent et Paul sortit en traînant son fils par le bras, l’obligeant à le suivre jusqu’au rez-de-chaussée. Ils rejoignirent la cuisine, Paul ordonnant à son fils de faire des excuses à sa sœur.

— Non ! Je ne lui en ferai pas !

— Attends Paul, Mathias n’est pas entièrement fautif, Sophie l’a un peu méritée, elle s’est montrée insultante envers sa petite amie, si on m’injuriait, serais-tu content ?

— Ça ne lui donne pas le droit de frapper sa sœur. Regarde-moi ça. Mais tu voulais quoi Mathias, lui casser la figure, c’est ta sœur ! Si on n’a pas des ennuis avec la marque qu’elle va avoir demain ce sera un miracle.

— Ils vont faire chacun des excuses à l’autre, proposa madame Nguyễn.

Devant la colère de leurs parents, le frère et la sœur se firent des excuses de mauvaises grâces et chacun rejoignit sa chambre en grommelant.

— Mais qu’est-ce qui leur prend ?

— J’en sais rien, tu aurais vu Sophie, mais une vraie furie, j’ai dû hausser le ton ! J’espère qu’elle ne va pas faire comme son frère, des pétasses, des pouffiasses, elle toujours si polie.

— On a passé de si bons moments ces derniers jours que j’en aurais presque oublié ces dernières années à Paris. Eux qui étaient si proches l’un de l’autre, ça me désole.

— Ne m’en parle pas.

Mathias était furieux après sa sœur et ses parents, aucun ne comprenait que Kim lui manquait, qu’il était réellement amoureux d’elle. Il prit sa guitare, brancha le casque et joua le morceau qu’il avait composé après avoir appris qu’ils quittaient Paris et donc qu’il allait s’éloigner de sa petite amie. Il s’imaginait si mal vivre sans elle, ne plus la prendre dans ses bras, l’embrasser, l’entendre rire quand il butinait sa gorge ou gémir quand ils faisaient l’amour. Personne ne se rendait compte de sa souffrance. Les sonorités tristes de cette balade aux consonances d’un blues des années 70 s’élevèrent dans le casque.

Sophie entendant chanter son frère mit un casque à son tour et appela Élodie. Elle éclata en sanglots face à la webcam.

— Mais qu’est-ce qui t’arrive ma chérie c’est quoi cette marque rouge sur ta joue ?

Entre deux sanglots Sophie lui apprit que son frère l’avait frappé.

— Mathias ? Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Oh si j’étais là je te prendrais dans mes bras et j’irais lui dire deux mots à ton frangin.

Sophie expliqua ce qui s’était passé.

— Tu sais bien qu’il est raide dingue de cette fille, tu aurais peut-être dû être un peu moins brusque et je suis certaine qu’au fond de lui il regrette son geste et qu’il sait que tu as raison. Je suis sûre qu’il est super malheureux.

— Non, mais tu as vu la marque que j’ai ? Regarde-moi ça, tu te rends compte demain au lycée…

— Yep… tu devrais aller voir ton frère…

— Tu crois ?

— Je crois oui.

— J’ai pas trop envie.

— Kim est loin de vous, tu as encore envie que cette pouf vous sépare encore, qu’elle continue à te faire du mal ?

— Non ! Bien sûr que non !

— Alors, va le voir et fais-lui un gros bisou.

— Mmm… attend, je reviens.

— Ok ça marche.

Sophie en avait lourd sur le cœur, aussi son amie n’avait pas eu trop de mal à la convaincre. Elle poussa doucement la porte de la chambre de son frère et entra d’un pas hésitant. Quand Mathias leva les yeux vers elle, elle vit les larmes sur ses joues, mais il lui demanda de partir et comme elle ne s’en allait pas, il lui cria de dégager et lui lança une Dr Martens à la figure qu’elle évita de peu. Visiblement ce n’était pas le moment.

Elle reprit place devant son ordi portable posé sur le lit.

— Je me suis fait jeter.

— Ça ira mieux demain sans doute.

Élodie était surprise, jamais Mathias ne s’était montré violent envers sa sœur et il aurait cassé la figure au premier qui aurait levé la main sur sa petite sœur. Il était loin l’adolescent qui faisait battre son cœur tandis qu’elle entrait en 6e. Ils se connaissaient depuis la maternelle et tous trois avaient passé des heures à jouer ensemble, se chamailler. Sophie et Élodie avaient été ses premières groupies. Hélas la drogue avait détérioré leurs relations à peine quelques années plus tard.

Au moment du dîner, Mathias refusa de venir manger et Sophie remonta aussitôt fini sans décrocher un seul mot.


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